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Enquête du Poing Levé

« J’ai dû dormir deux fois dans la rue l’année dernière » : la jeunesse, frappée de plein fouet par la crise du logement

Des nuisibles au sans-abrisme en passant par la précarité énergétique, des loyers qui explosent et des aides publiques qui fondent, l’enquête du Poing Levé révèle les conditions de vie et de logements dégradées des étudiant·es. Une situation loin d’être naturelle ou inévitable et qui exige d’urgence un programme à la hauteur.

Cathu Isnard

27 mars

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« J'ai dû dormir deux fois dans la rue l'année dernière » : la jeunesse, frappée de plein fouet par la crise du logement

Tous les prénoms ont été modifiés. L’ensemble des chiffres marqués d’un * sont issus de l’enquête nationale du Poing Levé auprès de 5079 étudiant·es résidant en France entre le 8 octobre 2023 et le 19 janvier 2024.

10,8* % des répondant·es à l’enquête du Poing Levé1 se sont déjà retrouvées sans logement au cours de leurs études. Louis, étudiant en licence au Mirail à Toulouse, témoigne : « J’ai dû dormir deux fois dans la rue l’année dernière, parce que je n’avais pas de logement.  » Un cas loin d’être isolé, et qui rend compte de la force avec laquelle la crise du logement frappe la jeunesse et les étudiant·es.

Latente depuis les années 1990, elle a atteint un nouveau stade en 2023, comme en témoignent les nombreux·ses étudiant·es sans logement pour la rentrée universitaire. Les tendances à la hausse des loyers et à la raréfaction d’une offre adaptée écartent d’emblée une partie de la population du marché privé locatif alors que l’offre publique en logements est largement insuffisante. Entre 1984 et 2020, les loyers du parc privé ont augmenté de 160 %. Il est évident que les classes populaires, qui consacrent une plus grande part de leurs revenus chaque mois à leur logement, sont les premières touchées. Progressivement, et continuellement, elles ont vu leurs conditions de logement se dégrader au cours des dernières années alors que leurs salaires, eux, stagnant. Les situations d’impayés, de sous-location ou de « marchands de sommeil » voire de perte d’accès à un logement se multiplient, principalement dans les grandes villes. Comme l’a montré le dernier rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre, le nombre de sans domicile fixe en France a été multiplié par 2 depuis 2012, et par 3 depuis 2001, atteignant le chiffre faramineux de 330 000 personnes dormant dans la rue en 2023. La majorité des personnes sans-abris est concentrée dans les grandes agglomérations, et particulièrement en région parisienne. Depuis quelques mois, nous avons vu nombre d’étudiant·es rejoindre les rangs des personnes sans habitation stable, se trouvant alors contraint·es de trouver des solutions temporaires ou de dormir dans la rue. Andréa, étudiant·e en licence à Paris 1, n’a toujours pas trouvé de logement à ce jour : « Je dors chez des amis et je cherche un logement, mais je n’ai que ma bourse et Paris coûte cher. » Même son de cloche chez Alix, étudiante à Paris 8 : « Je n’ai toujours pas d’appartement à cause de la grande pénurie de logement. Ma situation familiale compliquée devrait me permettre d’avoir un logement social bientôt. »

Pourquoi et comment la crise frappe-t-elle aussi fortement la jeunesse ?

Les étudiant·es consacrent plus de la moitié de leurs revenus mensuels au logement (OVE, 2020) et sont donc particulièrement vulnérables aux hausses de loyers. L’offre de résidences universitaires étant largement insuffisante avec 175 000 places disponibles soit seulement 6 % des étudiant·es, ils sont contraint·es de se reporter sur le marché privé, avec des prix complètement dérégulés. Ainsi, 66,8* % des étudiant·es habitant en dehors du domicile familial occupent un logement du parc privé locatif, où le montant du loyer moyen est largement supérieur à celui en CROUS ou dans un autre logement social (HLM, etc).

La majorité des universités et des écoles est elle aussi concentrée dans les grandes agglomérations, où la hausse des loyers est la plus importante sur les dernières années. Les étudiant·es font à la fois partie des plus précaires, mais sont en même temps contraint·es de chercher des logements dans les zones les plus chères. Les effets sont immédiatement visibles : le pourcentage d’étudiant·es ayant connu une situation de sans domiciliation fixe atteint ainsi 13* % dans les Bouches-du-Rhône et Paris, et même le chiffre hallucinant de 17,5* % pour la Seine-Saint-Denis et pour le Val-de-Marne.

Outre la hausse des loyers, les mesures d’austérité décidées par le gouvernement contribuent à détériorer la situation déjà instable des étudiant·es. La première attaque sous la présidence de Macron s’est matérialisée par une baisse de 5€ des APL (Aides Personnalisées au Logement) mensuelles en 2017 et a été suivie depuis par un ensemble de mesures visant à réduire le montant de ces aides : réduction de loyer solidarité, mesures de désindexation sur l’inflation, etc.

Les 188,91€* touchés par mois en moyenne par les étudiant·es sont largement insuffisants au regard des montants de loyers. Les mesures de désindexation des aides sont d’autant plus graves que les loyers, eux, restent indexés sur l’inflation.

Une large partie des étudiant·es est ainsi contrainte de travailler en plus de leurs études, le plus souvent des étudiant·es eux-mêmes issu·es des classes populaires. Julie, étudiante en master à Paris 1, donne des cours particuliers et garde enfants régulièrement pour payer son loyer. Elle raconte au Poing Levé : « On manque cruellement de places en logement étudiants. L’urgence est vraiment de sécuriser l’accès au logement. Surtout à Paris où même pour un salarié, il est difficile de trouver un logement. Je suis logée chez de la famille : sans ce logement gratuit, je n’aurais pas pu continuer mes études financièrement.  » Les étudiant·es occupant une activité rémunérée vivent davantage dans des logements privés (74* %) et beaucoup moins en CROUS (12*%), expliquant des loyers plus élevés en moyenne. Surtout, ils et elles ont une bien plus forte probabilité d’avoir connu une situation de sans-logement : c’est le cas pour 13,8* % d’entre eux, un chiffre qui tombe à 7,2* % pour les étudiant·es n’occupant et ne cherchant pas d’emploi. Une double peine donc pour l’ensemble des étudiant·es travailleur·euses, qui représentent quasiment la moitié des étudiant·es (OVE, 2020).

Ainsi, contrairement à ce que veulent faire croire Attal et le patronat, travailler ne suffit pas ni à trouver un logement ni à vivre convenablement.

Des conditions de logement indécentes entre insalubrité et précarité énergétique

Avoir un logement fixe ne garantit pas pour autant aux étudiant·es des conditions de vie décentes. La situation est particulièrement dégradée dans le peu de résidences universitaires disponibles, et qui accueillent en majorité des étudiant·es boursiers. Melissa, logée au CROUS à Saint-Denis (93) nous raconte : « il y a des souris. Je dois aussi mettre du scotch double en dessous de ma porte pour éviter qu’un maximum de cafards ne rentrent. Mon logement insalubre rend mes études plus compliquées  ». Elle fait donc partie des 20* % d’étudiant·es qui vivent avec des moisissures, et des 12,43* % avec des nuisibles. Le problème de l’isolation, lui, touche quasiment 1 étudiant·e sur 2 (49*%). Les étudiant·es, en raison de leurs faibles revenus, sont davantage contraint·es à accepter des logements insalubres et mal isolés. C’est le cas de Lucie, étudiant·e a l’Université de Bordeaux, qui raconte : « Mon logement date des années 1970, donc les fenêtres sont mal-isolées, et l’insonorisation est très mauvaise. [...] Il faut des logements moins chers, pour ne pas être obligés de se rabattre sur des logements avec moisissure, mauvaise insonorisation et insalubrité. »

Ajoutées à l’explosion des prix de l’énergie, ces conditions d’habitation ont poussé la grande majorité des étudiant·es à revoir à la baisse leur consommation d’énergie : 68,5* % des étudiant·es sont là concernés. Elodie, étudiante en licence à Toulouse 2, ne met pas le chauffage cet hiver et « n’allume le ballon d’eau chaude qu’une fois par semaine et pendant les heures creuses », car elle ne peut pas se permettre davantage. Pour ne pas se retrouver en situation d’impayés systématiquement, les étudiant·es sont obligés de réduire leur consommation, et vivent dans le froid tout l’hiver. En 2021 déjà, les différents fournisseurs d’énergie avaient procédé à 786 000 coupures ou réductions d’électricité, un chiffre en hausse de 22 % en 2019. Nul doute que ce chiffre va encore augmenter, avec la fin du bouclier tarifaire de l’énergie en 2024.

Des mesures d’urgence pour la jeunesse et les classes populaires

Froid, cafards, souris, nuits à la rue : l’enquête du Poing Levé met la lumière les conditions de logement catastrophiques des étudiant·es. Cette situation n’a pourtant rien de naturel et d’inévitable. D’abord, l’IRL (indice de références des loyers, publié par l’INSEE) qui permet la révision des loyers par les propriétaires est calculé à partir de l’inflation (IPC, indice des prix à la consommation). Alors que le gouvernement désindexe les aides sociales notamment au logement de l’inflation, les revenus des propriétaires fonciers eux sont bien indexés sur la hausse des prix. A cela s’ajoute la frénésie des logements de courte durée type Airbnb : les avantages fiscaux pour les multi-propriétaires encouragent à retirer les logements du parc locatif privé ‘classique’ pour les proposer aux touristes pour de (très) courtes durées, contribuant davantage à la raréfaction d’une offre de logements adaptés aux besoins. Cela concerne le plus souvent des zones déjà en tension, notamment dans la région parisienne à quelques mois des Jeux Olympiques. La régulation de ce type de location est l’une des revendications les plus régulières des étudiant·es pour répondre à la crise du logement. Julie, en double-licence avec paris 1 et Paris 3, propose par exemple un « quota pour le nombre de biens en location ou Airbnb ». Antoine, en master à l’Université de Paris, va dans le même sens : « Il faudrait une plus forte régulation des Airbnb, d’autant plus avec les JO qui arrivent.  » Si les locations de type Airbnb accaparent une part non négligeable des logements, ce n’est que la pointe avancée d’un système de logement qui tourne à l’envers : la hausse croissante des Airbnb est le résultat et symbole d’une recherche de profits toujours plus grande de la part des propriétaires fonciers.

D’autre part, si la construction immobilière a ralenti ces dernières décennies, le « parc de logements augmente deux fois plus vite que la population », d’après l’INSEE. Le problème n’est donc pas la quantité de logements disponibles, comme en attestent les 10 % de résidences secondaires et les 8 % de logements vacants au niveau national, mais bel et bien sa répartition et son adéquation avec les besoins des travailleurs et des étudiant·es.

Face au nombre immense de personnes sans-abris ou sans domicile fixe, y compris parmi les étudiant·es, il faut imposer la réquisition des logements et bureaux vides. L’absurdité d’un pays dans lequel plus de 3 millions de logements sont vacant alors que des centaines de milliers de personnes dorment à la rue saute aux yeux. Ainsi, 80,7* % des étudiant·es interrogé·es par le Poing Levé sont « d’accord » ou « très d’accord » avec notre revendication d’une « Réquisition des logements vides ». La réquisition permettrait de mettre à disposition des personnes sans logement ou au logement insalubre une habitation conforme à leurs besoins, et de répondre aux 2,4 millions de demandes actuelles en logement social. Rien qu’à Paris, les logements vacants sont au nombre de 368 924 (Observatoire des Territoires, 2020). Cette réquisition ne peut avoir de sens qu’avec l’abrogation de la Loi Kasbarian-Bergé, ainsi que de toutes les lois qui visent à criminaliser et réprimer les « squats ».

Cela doit obligatoirement s’accompagner d’un grand plan de « Rénovation et réhabilitation des logements étudiants et sociaux » financé par les grandes fortunes. 97* % des étudiant·es interrogé·es sont d’accord ou très d’accord avec ces mesures de rénovation et de réhabilitation. Ces rénovations systématiques doivent être accompagnées d’un plan d’urgence contre les nuisibles et l’insalubrité mesure avec laquelle 96* % des étudiant·es interrogé·es sont au moins d’accord. Ce plan d’urgence doit être mis en place sous contrôle des travailleur·euses eux-mêmes et de la population, pour garantir son efficacité et que le patronat ne s’enrichisse pas davantage sur la misère de la jeunesse. En outre, ce programme ambitieux de rénovation de logements et de bureaux vides dans le but de construire des logements sociaux de haute qualité, doit être pensé impérativement comme éco-compatible et durable.

Enfin, l’indexation des loyers et non des salaires sur l’inflation fait sauter aux yeux les objectifs actuels du secteur immobilier, avec un enrichissement toujours croissant des spéculateurs et promoteurs en parallèle d’une dégradation constante des conditions de vie pour les étudiant·es et les travailleur·euses. L’ensemble des loyers doivent être gelés et baissés immédiatement, sur proposition des comités populaires de quartier. Pour rattraper leur hausse constance depuis les années 1980, il faut défendre l’indexation de l’ensemble des salaires, des minimas sociaux et des bourses sur l’inflation, ainsi qu’un revenu étudiant pour tous et toutes permettant enfin à la jeunesse de vivre dignement.

L’enquête à retrouver dans sa totalité

Le rapport scientifique de l’enquête nationale du Poing Levé sur la précarité est également consultable en intégralité en ligne


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