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Moyen-Orient

Iran-Israël. Le Moyen-Orient à la croisée des chemins ?

Après l’attaque israélienne contre l’ambassade iranienne à Damas, la question n’est plus vraiment de savoir si l’Iran répondra, mais comment. Confronté à un dilemme inédit, l’Iran considère ses options et mesure leurs conséquences.

Enzo Tresso

11 avril

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Iran-Israël. Le Moyen-Orient à la croisée des chemins ?

Crédit photo : Capture d’écran NBS

Frappé sur son territoire diplomatique, l’Iran a perdu, lors de l’attaque israélienne contre son consulat à Damas, des membres haut placés de la hiérarchie du régime et des dirigeants de premier ordre de la République Islamique. La question n’est plus de savoir si l’Iran répondra, mais bien de mesurer les possibilités d’action du régime. Embourbées dans une grave crise, les élites iraniennes doivent à la fois restaurer la confiance dans les institutions largement délégitimées du régime, comme en témoigne le taux historiquement bas de participation aux dernières élections, en même temps qu’elles doivent réaffirmer leur puissance régionale, après des attaques laissées sans réponse, ou presque, qui nourrissent le ressentiment d’une population martyrisée par la répression.

La République islamique est ainsi confrontée à un dilemme : elle doit répondre, et probablement avec un degré d’intensité inédit, mais elle ne peut le faire sans offrir à Israël l’opportunité de déclencher une guerre totale qui ferait des dissensions ouvertes entre Netanyahou et Biden un mauvais souvenir. En réanimant le « grand ennemi » des Etats-Unis, Israël contraint ses alliés impérialistes à serrer les rangs et à faire bloc derrière lui.

Si Téhéran s’est toujours montré prudent, lorsqu’il s’agissait de répondre à Israël ou aux Etats-Unis – elle avait apporté une réponse timide à l’assassinat de Soleimani en 2020 –, la gravité de l’attaque à Damas lui impose, selon certains analystes, de rompre avec sa politique de la patience, comme le souligne Alex Vantaka, directeur du programme Iran au Middle East Institute : « Jusqu’ici, l’Iran s’est astreint à ce qu’il appelle “la patience stratégique” pour éviter de s’engager directement dans un conflit avec Israël. Il espérait qu’entre-temps, la guerre à Gaza saperait la position régionale israélienne et le statut international de l’Etat hébreux. Mais cette “patience stratégique” est désormais sous pression du fait des centaines d’attaques qui ont ciblé Téhéran au cours des cinq derniers mois. Les Iraniens n’ont cessé de prétendre qu’elles étaient insignifiantes et qu’ils ne tomberaient pas dans le piège qui leur est tendu. Téhéran a un problème d’image. Si vous dites que vous êtes fort mais que vous êtes constamment frappés et que nous ne réagissez pas, alors votre force n’est plus crédible ».

Alors que la République islamique déléguait traditionnellement ses opérations de ripostes aux multiples composantes de l’Axe de la Résistance et, plus particulièrement, à ses milices irakiennes et au Hezbollah libanais, la gravité de l’attaque laisse supposer que le régime aura à engager des actions directes contre Israël. Telle était, du moins, la conclusion provisoire du Conseil de défense qui s’est tenu au lendemain de l’attaque. Comme le rapportait alors l’Orient-le-Jour, les modalités de la riposte y ont été âprement discutées, opposant la diplomatie iranienne, partisante de la prudence, aux corps des Gardiens de la Révolution, impatients de venger ses morts et son haut commandement, et porte-parole des alliés iraniens. D’après les sources du journal, « le Guide Suprême a tranché : il y a aura une riposte explicite et forte menée par les Iraniens eux-mêmes, mais qui ne serait pas synonyme d’une déclaration de guerre. Il aurait également, selon les mêmes sources, demandé des évaluations politiques sur la possibilité de riposter en ciblant des ambassades ou des consultâtes israéliens, ainsi que les répercussions que cela pourrait avoir sur Téhéran et les dégâts potentiels que cela pourrait causer. Il a également demandé une étude sur la possibilité de mener des opérations d’assassinat à l’intérieur d’Israël pour ébranler l’autorité israélienne et venger les responsables tués ».

Si le guide suprême insiste sur la nécessité que la riposte soit exclusivement iranienne, il ne désire pas déclencher une guerre ouverte avec Israël, qui le confronterait de facto aux Etats-Unis et qu’il est presque certain de perdre.

Toutefois, cette hypothèse mesurée est rejetée par les renseignements étatsuniens qui parient sur une attaque d’envergure. L’impérialisme craint une offensive massive et inédite dans l’histoire de la confrontation irano-israélienne. D’après le site d’information Axos, le général Erik Kurilla, chef de la section Moyen-Orient du commandement central des Etats-Unis s’est rendu en Israël aujourd’hui pour anticiper l’attaque iranienne qu’il juge inévitable. Comme le synthétisait il y a quelque jours l’Orient-le-Jour, « les responsables ont ajouté qu’ils se préparaient à une attaque directe sans précédent depuis le sol iranien en utilisant des missiles balistiques, des drones et des missiles de croisière contre des cibles israéliennes, ce à quoi Israël riposterait par une attaque directe contre l’Iran ». D’après d’autres responsables israéliens, « Israël aurait demandé aux Etats-Unis s’ils pouvaient contribuer à limiter la réaction iranienne en envoyant des messages d’avertissements privés et publics aux Iraniens et en projetant leur force dans la région. Ce dernier a ajouté que Tel-Aviv et Washington se coordonnent depuis quelques jours pour mettre en place une défense aérienne et antimissile commune dans la région, en prévision d’une offensive de Téhéran ».

Si l’Iran venait à lancer une offensive d’ensemble qui entérinerait son intervention directe dans le conflit, la réponse israélienne serait probablement celle de la guerre totale. À suivre cette ligne de développement, le Hezbollah serait également contraint d’entrer dans un conflit ouvert avec Israël. La Syrie deviendrait alors une zone stratégique cruciale. Contrôlé partiellement par les fidèles de Bachar el-Assad, que l’Iran a soutenu pendant la guerre civile, le pays pourrait sombrer à nouveau dans le chaos. Ce dénouement probable est sans doute la raison d’être des déclarations prudentes de Dimitri Peskov, porte-parole du Kremlin, qui s’est exprimé aujourd’hui : « Il est très important que chacun fasse aujourd’hui preuve de retenue afin de ne pas déstabiliser la région, qui n’est déjà pas très stable et prévisible ». Des troupes russes étant stationnées en Syrie, au service du pouvoir des Assad, la déstabilisation de la région menacerait également les positions que la Russie tente de maintenir dans la région.

Si les sources iraniennes font état d’une riposte limitée mais conduite par l’Iran lui-même, les représentants israéliens et états-uniens craignent ainsi une offensive large et profonde qui précipiterait la région dans la spirale de la guerre et contraindrait le Liban, la Syrie, l’Arabie Saoudite, l’Irak et le Yémen à prendre position. S’il n’est pas possible d’exclure l’une ou l’autre de ces hypothèses, il convient également de souligner l’importance de l’avertissement russe. D’après l’Orient-le-Jour, qui mentionne des sources proches du pouvoir iranien, la diplomatie iranienne aurait fait savoir au gouvernement Netanyahou qu’elle ne répondrait pas à l’attaque israélienne à Damas si une trêve était signée entre le Hamas et Israël, qui amènerait une solution durable à la situation humanitaire à Gaza. Si le Hamas examinait ces derniers jours une contre-proposition israélienne, les dernières déclarations de la chancellerie israélienne écartent toute perspective de trêve : accusant le Hamas de « tourner le dos à une offre très raisonnable », le porte-parole du gouvernement israélien a ainsi fustigé les « pressions internationales exercées sur Israël qui éloignent le Hamas de la négociation », sans préciser les pays qu’il visait.

Il n’est pas pour autant à exclure, en dépit de l’échec des négociations et de la résistance du mouvement palestinien aux diktats israéliens, que l’Iran adopte finalement une solution plus mesurée, laissant planer le spectre d’une contre-offensive destructrice pour jouer de son pouvoir de peur, et renoue avec ses formes de ripostes traditionnelles. Dans ce cas de figure, l’Iran accorderait une autonomie stratégique accrue à ses différents proxies, lâchant la bride, sur tous les fronts, aux groupes qui sont sous son hégémonie directe. Si, cette option pourrait empêcher, à court terme, le déclenchement d’une guerre, des attaques de moyenne intensité sur plusieurs fronts pourrait à terme défaire les équilibres régionaux, déjà extrêmement précaires, et jetterait les belligérants sur la route de l’escalade. À moyen terme, cette option pourrait se révéler tout aussi dangereuse qu’une offensive directe.

Lire aussi : Israël frappe l’Iran : de la guerre coloniale à la guerre régionale ?

Le Moyen-Orient est la croisée des chemins. Les contradictions sont devenues électriques et les équilibres si friables qu’ils menacent de se dénouer brutalement. Le génocide à Gaza et le soutien de l’impérialisme à Israël ont libéré les énergies meurtrières accumulées dans la région et menacent aujourd’hui d’en disloquer la physionomie. Si la riposte iranienne fixera la ligne de développement de la situation, il est à craindre que ce ne soit en définitive la réaction d’Israël qui scelle l’avenir d’une région au bord de l’effondrement.


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