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Homophobie coloniale

L’Île Maurice supprime une loi coloniale homophobe : une victoire pour les droits LGBT !

Le 4 octobre, la Cour Suprême de Maurice a annoncé l’abrogation de l’article 250 du Code Pénal de l’île. Un reliquat de l’époque coloniale britannique, la loi criminalisait la sodomie.

Virdas

9 octobre 2023

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L'Île Maurice supprime une loi coloniale homophobe : une victoire pour les droits LGBT !

Marche des fiertés à Port-Louis, Juin 2019, crédit photo : Guillaume Devienne

Ce mercredi 4 octobre, la Cour Suprême de Maurice a rendu inconstitutionnel l’article 250 du code pénal de l’île. Même si cette loi coloniale ne criminalisait que la sodomie, son application était une menace symbolique considérable pour les identités et sexualités non-hétéronormées. Les associations locales et internationales célèbrent la décision légale, faisant de l’île de l’Océan indien un nouvel état africain à dépénaliser l’homosexualité.

L’article 250 menaçait de cinq ans de prison toute personne reconnu coupable d’un rapport sexuel anal. Depuis l’indépendance de Maurice en 1968, très peu d’hommes homosexuels ont été inquiétés par la loi, avant tout reliquat colonial, témoin du contrôle moral et corporel de l’impérialisme britannique sur Maurice. De 2007 à 2012, trois lois liées à la sécurité professionnelle sont votées, rendant illégale la discrimination en raison d’homosexualité. En 2011, l’état mauricien signe la résolution du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unis sur le respect de l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Malgré cela, l’article 250 subsistait dans la loi.

Mercredis, les juges David Chan et Karuna Gunesh-Balaghee ont reconnu le caractère discriminatoire de la loi, la déclarant incompatible avec les principes d’égalité en droit définis par cinq articles de la constitution mauricienne. Cette décision répond à deux plaintes contre l’état mauricien pour discrimination fondamentale contre la liberté sexuelle.

La première était portée comme défendue par Ridwan Firaas Ah Seek, avocat et président du Collectif Arc-En-Ciel, première association de défense des droits LGBT à Maurice, établie en 2005. La deuxième plainte a elle été portée par Najeeb Ahmad Fokeerbux, Vipine Aubeeluck, Imesh Falee et Jürgen Soocramanien Lasvanne, tous militants de l’autre principale association anti-LGBTphobe mauricienne, la Young Queer Alliance. Leur communiqué revendique le caractère symbolique d’une plainte portée par des représentants des trois principales communautés religieuses -hindoue, musulmane et chrétienne - de l’île. Ils insistent aussi sur le fait que trois des plaignants sont les premiers fonctionnaires mauriciens à vivre ouvertement leur homosexualité. Dans une interview de 2014 (https://youngqueeralliance.com/2014/11/17/najeeb-fokeerbux-maurice-se-defend-bien-en-matiere-de-reconnaissance-des-droits-des-homosexuels/), Najeeb Fokeerbux, fondateur de la Young Queer Alliance, soulignait « l’homophobie institutionnalisée dans les corps publics et parapublics », comme conséquence la plus saillante de l’article 250 sur la société mauricienne.

Une victoire pour la communauté LGBTI, dans le silence total de la classe politique mauricienne

Depuis mercredi, les associations et militant.e.s mauriciennes saluent dans leur ensemble ce qu’iels considèrent le début d’un processus de pleine reconnaissance légale des personnes queer et/ou trans à Maurice, au-delà des hommes gays historiquement visés par l’article 250. A l’internationale, plusieurs médias LGBTQI+ ont célébré l’amendement, dans un contexte de durcissement de l’homophobie d’État dans plusieurs états de l’Union Africaine, dont Maurice fait partie. Pour Nicolas Ritter, militant historique des droits des personnes séropositives et de la prévention contre le Sida, la fin de l’article 250 est celle « d’un barrage dans l’effort pour la prévention et le traitement [du VIH/Sida] ». Mais les réjouissances se font dans un silence assourdissant : celui de la classe politique mauricienne.

Le Premier Ministre Pravind Jugnauth n’a aucunement commenté la décision de la plus haute autorité judiciaire mauricienne. Aucun membre du gouvernement, ni de l’opposition, ne s’est jusque-là exprimé. A l’exception de Arvind Boolell, dirigeant du Parti Travailliste (opposition), qui a exprimé sur facebook sa réjouissance pour une victoire « de droit humain », sans aucune mention directe de l’homosexualité et de la communauté LGBTQ de Maurice.

De droite à gauche, tous les partis parlementaires de Maurice sont à des degrés divers alignés sur les diktats du suprémacisme hindou, dont les valeurs patriarcales sont l’une des bases les plus fondamentales. Le parti de droite au pouvoir, le Mouvement Socialiste Mauricien (MSM), s’est toujours érigé en défenseur de l’institution familiale traditionnelle, comme dans des prises de positions récentes profondément natalistes. Entre une majorité hindoue de l’île et des minorités musulmanes et chrétiennes, les partis ne peuvent survivre électoralement sans un clientélisme religieux principalement tourné vers la communauté musulmane (15 pour cent de la population), pour les groupes minoritaires.

Les églises chrétiennes (catholique, anglicane et presbytérienne), majoritairement implantées dans les communautés afro-descendantes de l’île, tiennent historiquement à distance le pouvoir étatique indo-mauricien. Le plus influent parmi ces groupes chrétiens, l’Eglise catholique a choisi de politiser exclusivement son opposition à l’avortement. Les différents corps religieux musulmans, bénéficient eux du privilège d’être indo-descendants, et ont choisi de jouer un rôle actif comme intermédiaires électoraux. Car même si minoritaire, la communauté musulmane est historiquement perçue comme une « swing community » décisive par les partis lors des élections générales. Notamment par le Mouvement Militant Mauricien (MMM), parti de centre-gauche social-démocrate, qui a fait de la minorité musulmane une base d’appui exclusive.

Hors, ce sont des intégristes musulmans qui ont porté l’attaque homo-transphobe publique la plus violente de ces dernières années. Lors de la Pride de Juin 2018 à Port-Louis, une milice islamiste-soutenue par des notables et élus locaux - s’est opposée physiquement à la circulation des marcheurs.euses dans la capitale de l’île. Depuis, les influentes franges les plus conservatrices de l’électorat musulman ont fait de la « lutte contre Sodome et Gomorrhe » un axe clé de leur négociations avec la classe politique mauriciennes. Par peur de perdre cet électorat-clé, dont la force décisionnaire est concentrée dans une circonscription port-louisienne particulièrement réactionnaire, les partis évitent toute position contre la LGBTphobie, considérée non sans raccourci islamophobe l’apanage du clergé musulman et de leurs relais politiques. Car l’homophobie des partis est tributaire d’un conservatisme religieux ne se limitant à aucune communauté, et servant en premier lieu le patriarcat hindou dominant dans un pays à majorité indo-descendant.

Pour arracher des droits LGBTI effectifs à l’île Maurice : aucune confiance aux impérialistes, ni à la bourgeoisie mauricienne

S’il s’agit d’une victoire pour la communauté LGBTI mauricienne, l’abrogation du paragraphe 250 ne signifie pas pour autant la fin de de la précarité généralisée des communautés queer de Maurice, des risques de rejet par la famille, des violences et des discriminations. Les points d’appui des organisations qui ont mené la plainte et permis cette avancée sont ténus, en témoignent leurs principales alliances.

D’un côté, le Collectif Arc-en-Ciel va chercher ses soutiens du côté des impérialistes : en 2019, comme réponse à la contre-manifestation islamiste de l’année précédente, le Collectif Arc-en-Ciel s’entoure de l’Ambassade européenne, l’Ambassade de France et la Haute-Commission Britannique comme invités d’honneur. Les ambassadeurs mènent le cortège, dans une mise en scène regrettable d’impérialisme rose, renouvelée en 2022.

Un défilé qui ne bénéficie qu’aux coup de com’ des deux gouvernements impérialistes, qui peuvent ainsi tenter de se doter d’une image humanitaire qui leur permet de faire oublier leur responsabilité coloniale dans la situation de l’île. Une situation des plus hypocrites pour les gouvernements français et anglais, alors que s’enchaînent depuis plusieurs années les paniques morales et les attaques du gouvernement sur les personnes trans en Angleterre, et qu’en France les contre-réformes successives du gouvernement Macron ciblent tout particulièrement les plus précaires, dont font partie les personnes LGBTI.

De l’autre, les liens de la Young Queer Alliance avec le Parti travailliste -force politique de centre-droit- sont assumés, comme en témoigne le soutien de Arvin Boolell. Le succès de la plainte permet au Parti Travailliste de s’adresser aux franges les plus progressistes de la société mauricienne, sans s’y impliquer non plus directement et risquer la perte de son électorat conservateur.

Pour arracher des droits LGBTI effectifs à l’Île Maurice, aucune confiance ne peut être mise en la classe politique locale sous pression des réactionnaires et des conservateurs, ni dans les impérialistes, qui ne s’intéressent aux droits LGBTI dans les pays semi-coloniaux que pour redorer leurs propre blason. Pour une réelle conquête de droits, pour une réelle libération de l’héritage colonial et de la réaction religieuse, le mouvement LGBTI mauricien doit s’organiser en indépendance de ces forces. Depuis l’Europe, il est nécessaire pour le mouvement LGBTI dans les pays impérialistes de se positionner fermement contre le pinkwashing de leurs gouvernements, et en soutien avec les combats de la communauté LGBTI mauricienne.


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