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Offensive réactionnaire

Belgique. L’offensive de l’extrême droite contre l’éducation sexuelle doit nous alerter

Début septembre, la Belgique a connu plusieurs incendies d’écoles dans le cadre d'une mobilisation réactionnaire contre un décret sur l'éducation sexuelle à l'école. Au cœur de cette offensive réactionnaire, l'extrême-droite et les complotistes, mais aussi des mouvements religieux catholiques ainsi que des associations musulmanes.

Benoit Barnett

4 octobre 2023

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Belgique. L'offensive de l'extrême droite contre l'éducation sexuelle doit nous alerter

Crédits photo : Capture d’écran, RTL

Au début du mois de septembre, plusieurs écoles belges ont été incendiées autour de Charleroi, en réaction au vote du décret EVRAS (Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) en Belgique par le Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, le 7 septembre dernier [1]. Ce texte de loi vise à généraliser deux heures d’enseignements sur la sexualité dans ce qui est l’équivalent de la sixième et la seconde française. Sur les huit écoles incendiées, des tags « No Evras » ont été retrouvé sur les murs des établissements, démontrant la volonté de s’attaquer à l’accès à l’éducation des jeunes belges. Des actes inscrits dans le cadre d’une campagne ultra-réactionnaire contre l’éducation sexuelle.

Au premier rang de l’opposition à ce décret, on trouve en effet ces derniers mois l’extrême-droite et des groupes complotistes, des mouvements ultra-conservateurs catholiques mais également des associations musulmanes, qui en jouant sur la corde de la « défense des enfants », défendent des positions réactionnaires en s’appuyant sur des fake news concernant l’éducation sexuelle dans les collèges et lycées. C’est l’Observatoire de la petite sirène, organisation transphobe et homophobe proche de la Manif pour tous, qui est à l’origine de la dynamique, déclenchée depuis décembre 2022 par une pétition adressée à la ministre de l’éducation belge intitulée « Supprimez la loi EVRAS » qui a récolté plus de 19 000 signatures à ce jour.

Cette pétition dénonce l’apprentissage «  à des enfants de maternelle et primaire [de] la sexualité », alors que ces classes d’âge ne sont pas concernées par le décret Evras. Présentant l’éducation sexuelle comme un endoctrinement, n’hésitant pas à manier les fake news, ces militants instrumentalisent la « défense de enfants « pour renforcer une vision réactionnaire du genre, militant ouvertement contre l’auto-détermination de genre, les droits des personnes transgenres et plus largement contre toute forme d’éducation à la sexualité, au consentement, ou encore à la lutte contre toutes les formes de domination basées sur le genre.

Sans surprise, l’auto-proclamé « Observatoire » est d’ailleurs issu de la Manif pour Tous. « L’Observatoire de la petite sirène est né (…) d’une branche française [liée à la Manif pour Tous] très réactionnaire qui soutient une théorie sur la ’dysphorie de genre à apparition rapide’ : une ’épidémie’ de transformation de genre, de coming out au service d’une idéologie qui déferlerait dans la société. Avec une vraie crainte, défendue sur leur site : aborder ces sujets en classe ou dans tout autre espace avec des jeunes serait susceptible de contaminer les autres. Le tout avec études à l’appui réalisées sur des micros-échantillons, servies par des questions très orientées. » rapporte ainsi Lola Clavreul, directrice de la Fédération des centres pluralistes de planning familial (FCPPF).

L’extrême-droite transphobe, les mouvements ultra-conservateurs, et les complotistes au coeur de l’offensive réactionnaire

Si la campagne belge s’inscrit dans la continuité de campagnes réactionnaires du même type, qu’on a pu connaître en France en 2014 autour de « l’ABCD de l’égalité » et de la « théorie du genre », cette offensive réactionnaire marque un saut du point de vue des méthodes et du front qu’elle a réussi à articuler. À Bruxelles, 2000 personnes se sont ainsi rassemblées le 17 septembre autour du mot d’ordre « EVRAS, dégage de nos écoles » à l’appel d’organisations qui vont de l’extrême-droite, des mouvements antisémites comme Civitas jusqu’aux mouvement anti-vax, en passant par des associations musulmanes.

Parmi les différentes figures d’extrême-droite qui ont participé à la manifestation, on retrouve Alain Escada, figure de l’extrême-droite belge et président de Civitas, le mouvement d’extrême-droite catholique et antisémite. Ce dernier est un réactionnaire de premier ordre qui défend l’expulsion des migrants et dont l’organisation prétend être « l’armée du Christ roi. Lors de son intervention, Escada a pris le temps de dénoncer un « projet mondialisé qui veut vous imposer un nouvel ordre sexuel » et n’a pas oublié de verser dans des discours anti-trans en dénonçant « la volonté de faire croire à vos petits garçons, dès 5 ans […] qu’ils peuvent devenir une petite fille ».

A ces côtés, d’autres secteurs complotistes considèrent la mise en place de l’éducation sexuelle comme une pente glissante vers la pédocriminalité, un complot orchestré par l’Organisation Mondiale de la santé. Ils profitent de la panique autour du décret pour propager l’idée que ces enseignements sont à destination d’enfants de 5 ans, qui ne sont pas concernés par EVRAS. Radya Oulebsir, qui se déclare initiatrice de la manifestation, a fait de son côté mention du « décret de l’enfer » en parlant du prédécesseur de EVRAS et étale ouvertement ses positions anti-avortement et contre le prétendu lobby LGBT. Selon elle, l’éducation sexuelle en Belgique aurait pour but de « détruire l’autorité familiale des parents sur leurs enfants ».

La polémique est aussi partie des associations musulmanes, représentées par le Conseil de coordination des institutions islamiques de Belgique, qui a publié un communiqué le 6 septembre dernier. Il est stipulé que l’EVRAS provoquerait « l’hypersexualisation des enfants » qui aurait pour conséquence d’« éroder la liberté religieuse et les droits des parents à guider l’éducation des enfants conformément à leurs croyances ». Si le Collectif pour l’inclusion et contre l’islamophobie en Belgique avait relayé des appels à manifester, un communiqué est venu se dissocier de ce post Facebook qui a été publié sans discussion de manière non concertée.

De même, en France, la mobilisation contre le décret EVRAS a eu une répercussion importante avec le partage massif d’une vidéo TikTok par l’utilisatrice Nadou G. qui prétend qu’une version de la loi belge va être appliquée en France. Elle y parle aussi d’apprentissage de la « masturbation » ou de la « pornographie dès 9 ans ». Des affirmations qui vont jusqu’à inventer une loi EVRAS en France. Or, si La France possède déjà dans sa loi des textes très limités sur l’éducation sexuelle, le guide EVRAS n’en fait pas partie. Des fausses informations relayées jusque par le compte du rappeur français Rohff qui a relayé la pétition contre EVRAS, affirmant qu’on y enseignerait la « pornographie et la pénétration » aux enfants de 9 ans.

L’éducation au genre et à la sexualité : un cheval de bataille des réactionnaires

Les fake news réactionnaires surfent, en Belgique comme en France, sur l’idée qu’il faudrait protéger les enfants de toute référence à la sexualité et sur l’idéologie dominante essentialiste, binaire et patriarcale sur le genre. Alors que Macron lui-même n’hésitait pas à affirmer pendant sa campagne à propos de l’éducation sexuelle, « je ne suis pas favorable à ce que cela soit traité à l’école primaire. Je pense que c’est beaucoup trop tôt. Je suis sceptique sur le collège, mais ma position n’est pas arrêtée », il n’est pas difficile d’imaginer à quel point ces clichés sont répandus.

Dans le même temps, la question de la maltraitance des enfants est mobilisée habilement par l’extrême-droite. Qu’il s’agisse de l’inceste, qui est devenu un sujet de discussion national avec le phénomène #MeToo Inceste en 2021, ou encore les discussions plus récentes sur les phénomènes de harcèlement scolaire, les violences sexuelles, et plus généralement les abus et violences, sur les enfants sont devenus des sujets de débat public en France ces dernières années.

Mais ce que l’extrême-droite ne dit pas, c’est que si ces abus auxquels peuvent faire face les enfants existent, c’est en lien notamment avec les dominations de genre, et que s’ils persistent, c’est notamment à cause de l’omerta qui règne face aux abus sexuels sur les enfants, et en particulier sur l’inceste. A l’inverse, une éducation à la sexualité permettrait de poser les bases pour casser ces tabous, et donner des mots aux souffrances des enfants. Alors qu’un enfant sur dix est victime d’inceste en France, faire en sorte que ces discussions sur la sexualité et sur de potentiels abus restent cantonnées à la famille, c’est bien souvent ne donner aux enfants comme seuls interlocuteurs que ceux-là même qui peuvent être les auteurs de ces violences.

De même, au cœur des problèmes de harcèlement à l’école on trouve souvent des dominations de genre. On peut se rappeler du suicide de Dinah, une élève lesbienne, de celui de Lucas, un élève gay, ou d’un lycéen trans du Mans, à la suite de harcèlements scolaires LGBTphobes. Des phénomènes qui montrent que les jeunes sont confrontés à la sexualité, mais qu’en l’absence d’une éducation sur le sujet, ils sont perméables aux idées véhiculées par les réactionnaires. A commencer mais aussi par le gouvernement Macron, dont on se souvient des sorties de Blanquer sur le « wokisme », mais aussi de l’interdiction récente du port des abayas qui organise le harcèlement institutionnel quotidien de milliers de jeunes élèves.

Une éducation à la sexualité, et plus largement une éducation émancipatrice, est donc un enjeu décisif. Mais face aux politiques gouvernementales qui restent subordonnées aux pressions des pires réactionnaires et n’hésitent pas eux-mêmes à mettre en place des mesures sexistes, LGBTphobes ou islamophobes, celle-ci ne viendra pas des institutions. Ce sont les personnels de l’éducation et les parents d’élèves, en alliance avec celles et ceux qui luttent contre ces oppressions, qui devraient s’organiser pour contrer les discours réactionnaires, pour arracher des moyens massifs pour une éducation au genre et à la sexualité pour les élèves, pour des formations pour les personnels et les enfants permettant de faire face aux phénomènes de harcèlement. Une lutte qui ne peut aboutir que par l’abolition de tous les systèmes de domination dans le cadre d’une lutte révolutionnaire, indissociable du renversement du capitalisme qui s’alimente de toutes les oppressions.

Un front complotiste et réactionnaire inquiétant

Cette tâche est d’autant plus importante que les réactionnaires entendent bien mobiliser ces questions pour créer de nouvelles alliances contre-natures au service de l’extrême-droite. De même qu’elle s’appuie sur le rejet de l’immigration ou de la religion musulmane pour convaincre des secteurs de la classe ouvrière de son programme bourgeois, l’extrême-droite n’hésitera pas à chercher à convaincre des personnes musulmane de sa perspective en mobilisant le terrain du genre.

Au Brésil, Jaïr Bolsonaro, ancien président d’extrême-droite, a ainsi fait usage massivement de ces questions lors de sa campagne électorale pour rallier sa base sociale. On peut notamment citer sa dénonciation publique de la bande dessinée française Titeuf « Le guide du zizi sexuel », qui se veut « répondre aux questions des 9-13 ans concernant la sexualité », comme un « kit gay » qui aurait été « distribué dans les écoles pour pervertir la jeunesse ».

Récemment, il s’agit aussi d’un outil utilisé par Javier Milei, le nouveau candidat d’extrême-droite à la présidence d’Argentine, qui mène une campagne contre l’éducation sexuelle à l’école, et propose y compris d’abroger la loi déjà existante en Argentine à ce sujet. Aux Etats-Unis, ces questions ont également joué un rôle important ces dernières années, et les figures les plus en vogue du Parti Républicain ont en commun leur activisme réactionnaire sur le genre, de Trump à DeSantis.

Le front formé en Belgique, de même que l’écho qui peut exister sur EVRAS en France, doit susciter de ce point de vue l’alerte. Dans Mediapart, David Paternotte, sociologue de l’université libre de Bruxelles, revient sur cette alliance surprenante entre les organisations catholiques et musulmanes qui est « assez inédite ». « D’habitude, les organisations musulmanes ne mobilisent pas sur ces questions, ne serait-ce qu’à cause de l’islamophobie qui prévaut dans une partie des organisations anti-genre. Bien sûr, ces organisations ne représentent pas toute la communauté musulmane. On ne sait pas si cette alliance est véritablement construite mais si elle l’est, elle pourrait se reproduire ailleurs ».

De fait, ces dernières années, on a pu voir de telles alliances aux États-Unis, où le groupe d’extrême droite « Moms for Liberty » s’est associé à des parents musulmans pour protester contre la décision du système scolaire public de ne plus permettre à leurs enfants de se retirer de la lecture de livres abordant des histoires LGBTQI+. Dans la ville de Hamtramck, dans le Michigan, la décision de la mairie dirigée par un élu musulman d’interdire l’affichage de drapeaux LGBT sur les propriétés municipales a été largement célébrée par les médias d’extrême droite.

A l’heure où, Zemmour et le Rassemblement national entendent bien se saisir de ces questions eux aussi, comme le montre l’organisation en avril dernier d’un colloque contre le wokisme, il y a urgence à opposer un autre type d’alliances à ces offensives, un front ouvrier, féministe et antiraciste, luttant pour l’émancipation de toutes les personnes opprimées, contre l’extrême droite et contre le gouvernement qui lui pave la voie.

Pour cela, la rhétorique réactionnaire mobilisée en Belgique et à l’échelle internationale doit être combattue par les organisations du mouvement ouvrier, politiques et syndicales, en alliance avec les organisations féministes, LGBT et anti-racistes. En plus de démasquer les fake news et arguments réactionnaires mobilisés par l’extrême-droite, il est par ailleurs essentiel de revendiquer une éducation sérieuse au genre et à la sexualité à l’école. Celle-ci est le seul moyen de permettre aux enfants de reconnaître et nommer les violences sexuelles qu’ils peuvent subir au sein du foyer familial et en dehors.

En ce sens, il faut d’établir un dialogue entre les enseignants et les parents d’élèves pour expliquer l’importance de ces cours pour le bien-être et l’épanouissement des enfants, tout en démystifiant les fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux. Une perspective qui n’est envisageable qu’en mettant fin à la pénurie de personnel enseignant qui prive actuellement des milliers d’élèves d’un accès à une scolarité adaptée, en exigeant des investissements massifs dans l’éducation ainsi que dans tous les services publics. Dans le même temps, il est essentiel d’articuler un tel combat à la lutte contre toutes les lois racistes et islamophobes qui entravent l’accès à l’éducation des élèves musulmans, les empêchant d’étudier sans être surveillés et humiliés.

Notes :

[1] Conçu par des professionnels de l’éducation à la sexualité, ces enseignements suivent le guide EVRAS qui constitue un condensé de recommendations autour d’une « éducation à la sexualité qui présente une vision globale et positive ». Ces enseignements ne sont pas une nouveauté puisque, comme le pointe Mediapart, EVRAS fait partie des missions de l’école depuis 2012 et est enseigné dans 20% des établissements francophones.


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