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Valets de l'impérialisme

Bahreïn. La monarchie prise au piège de sa complicité avec Israël

La semaine dernière, le Parlement de Bahreïn annonçait la rupture des liens diplomatiques avec Israël, annonce finalement réfutée par le gouvernement de la pétromonarchie. Une expression de la profonde crise des bourgeoisies arabes, prises entre normalisation et mobilisations populaires pro-palestiniennes.

Wolfgang Mandelbaum

7 novembre 2023

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Bahreïn. La monarchie prise au piège de sa complicité avec Israël

Crédits photo : Amos Ben Gershom / Government Press Office, CC BY-SA 3.0.

Rupture des relations économiques, rappel de l’ambassadeur en Israël, les relations entre Bahreïn et l’Etat sioniste semblent s’être soudainement tendues en fin de semaine dernière. L’information émanait du Conseil des représentants de Bahreïn, la chambre basse d’un Parlement au rôle essentiellement consultatif, dans un pays où le pouvoir est concentré dans les mains de la monarchie. Le soir même, un porte-parole du gouvernement a publié un communiqué qui, s’il ne dément pas catégoriquement la décision du Conseil des représentants, tempère fortement ses déclarations. Il ne s’agit plus d’un « rappel » de l’ambassadeur, mais d’un « retour » des deux ambassadeurs dans leurs pays respectifs ; une annonce entérinant un état de fait, ceux-ci étant rentrés probablement pour des raisons de sécurité il y a plusieurs semaines.

Quant à la suspension des activités économiques, il n’en est plus fait mention, mais uniquement d’une interruption des vols entre les deux pays, sous-entendu ici encore pour des raisons de sécurité. D’ailleurs, d’après Ibrahim Sharif, du parti clandestin de gauche Wa’ad, pour le journal d’opposition Bahrain Mirror, une livraison de pétrole a été effectuée vers Israël plus tôt dans la semaine, mettant à mal l’idée selon laquelle la pétro-monarchie souhaiterait rompre des liens économiques établis depuis peu.

La monarchie bahreïnie, entre normalisation et crainte de la cause palestinienne

Cet imbroglio diplomatique, plus qu’un couac de communication entre la chambre basse et le gouvernement, exprime l’embarras et les contradictions profondes auxquelles font face les bourgeoisies arabes après plusieurs décennies de normalisation diplomatique face au retour d’un mouvement de solidarité massif envers la cause palestinienne.

La monarchie des Khalifa cherche évidemment à entretenir un certain flou quant à sa réelle posture à l’égard d’Israël, en donnant l’impression d’être une alliée des Palestiniens, la normalisation des relations avec l’État sioniste étant loin de faire l’unanimité dans la population. Selon un sondage d’avril 2023 20 % seulement de la population voit les Accords d’Abraham d’un bon œil, contre 45 % avant la signature du traité. Ce rejet des Accords s’est d’ailleurs exprimé dans la rue depuis le début de la guerre, certaines manifestations ayant été autorisées, quoique de manière très encadrée, une décision motivée avant tout par la peur d’un retour de la rue arabe face aux bourgeoisies complices de l’État d’Israël.

Ces manifestations dans le petit État insulaire du Golfe sont un fait rare. On se souvient que la répression des révoltes lors des Printemps arabes en 2011 par la monarchie de Bahreïn a été parmi les plus promptes et les plus brutales. Après avoir dans une certaine mesure toléré les manifestations, le vent avait très rapidement tourné quand les manifestants ont appelé à détrôner le roi. Une répression féroce s’était abattue sur les révoltés, avec l’intervention de forces bahreïnies, mais également des tanks saoudiens et émiratis, par l’intermédiaire du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Les pétromonarchies ne pouvaient en effet pas tolérer que s’expriment au sein du Golfe des aspirations à se débarrasser des monarchies absolues qui tiennent les pays depuis des décennies. La démolition au bulldozer de la statue qui ornait la Place de la Perle à Manama, un emblème du pays, est resté dans les mémoires comme un symbole de la contre-révolution menée par le régime contre les mobilisations des Printemps Arabes.

La cause palestinienne : facteur d’unité des rues arabes contre leurs régimes respectifs

Les manifestations qui touchent actuellement le pays sont bien sûr très différentes de celles de 2011. À l’époque, une des focales du mécontentement était la répression des chiites, qui représentent pourtant 70 % de la population, par la monarchie sunnite. Désormais, les Bahreïnis manifestent, à l’instar de la population de la plupart des pays arabes, contre les massacres perpétrés par Israël et contre la complicité de leurs gouvernements. Un élément qui rappelle la centralité de la question palestinienne dans les pays de la région quant à la remise en question de leurs propres régimes, souvent les premiers à pactiser avec Israël et l’impérialisme en vendant pour trois fois rien les droits du peuple palestinien à l’auto-détermination.

La signature des accords d’Abraham par la monarchie bahreïnie s’explique par plusieurs raisons. Elles sont tout d’abord économiques bien entendu : les exports vers Israël sont encore modestes (10 millions de $ pour l’année 2022), mais devraient décupler en 2023. Le second facteur est géopolitique et militaire, les deux pays ayant un ennemi commun, l’Iran. La République islamique voit d’un mauvais œil le régime monarchique sunnite qui gouverne une population à majorité chiite. À ce titre, la petite monarchie du Golfe profite déjà de la protection de deux poids lourds, l’Arabie Saoudite, mais aussi les États-Unis qui stationnent leur 5ème flotte de l’US Navy à Manama.

Pourtant, la bourgeoisie de Bahreïn est obligée de condamner, au moins dans le discours, certaines actions de l’État d’Israël. D’ailleurs, ceci n’est pas une nouveauté de la guerre en cours, puisque Bahreïn a à plusieurs reprises condamné Israël depuis la signature des Accords, notamment lors de l’assaut de la mosquée d’Al-Aqsa en avril dernier. Le parlement et le gouvernement ont régulièrement recours à une rhétorique de soutien à la Palestine, afin de tenter d’apaiser une population clairement en faveur de la cause palestinienne. Comme les autres gouvernements des pays arabes, celui de Bahreïn tente de jongler entre la sauvegarde de ses liens avec Israël tout en craignant un retour de la rue résolument pro-palestinienne. La remise en cause de la normalisation pourrait être l’étincelle pour une remise en cause générale du régime actuel.

Ainsi, la question palestinienne pourrait jouer un rôle décisif dans la crise de l’impérialisme au Moyen-Orient par l’entremise de ces valets aussi fidèles qu’autoritaires et corrompus, que sont les bourgeoises arabes. La mobilisation des masses populaires est un danger pris très au sérieux par l’ensemble des gouvernements de toute la région.


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