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Amérique latine

50 ans après le coup d’Etat au Chili : ni oubli, ni pardon, ni réconciliation

Nous publions la déclaration du Partido de Trabajadores Revolucionarios (PTR), du Chili, membre de la Fraction Trotskyste - Quatrième Internationale et du Réseau International La Izquierda Diario, 50 ans après le coup d'État de Pinochet.

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50 ans après le coup d'Etat au Chili : ni oubli, ni pardon, ni réconciliation

Le gouvernement de Gabriel Boric a publié son agenda politique et législatif à l’occasion du 50ème anniversaire du coup d’État militaire. Non seulement celui-ci est totalement insuffisant en matière de droits de l’homme, ne cherchant ni à rompre avec le « pacte du silence » institué par l’armée pour protéger les militaires responsables de crimes contre l’humanité, ni à avancer sur la fermeture de Punta Peuco, le centre de détention spécial pour les condamnés pour crimes contre l’humanité, qui permet jusqu’à présent de maintenir les responsables pinochetistes dans une prison aux conditions privilégiées.

Cependant, le plus inquiétant dans la politique du gouvernement pour le 50ème anniversaire du coup d’État est qu’elle permet à la droite de se blanchir. En effet, l’un des aspects centraux de cette politique a été d’appeler la droite pinochettiste à la signature d’une déclaration commune en faveur de la « démocratie » [NdT : Celle-ci insiste notamment sur la nécessité de « défendre la démocratie, respecter la Constitution, les lois et l’Etat de droit »]. Boric a insisté sur l’importance de faire en sorte que « tout le monde soit à l’aise au moment de la signature ». Cette déclaration a été signée par les anciens présidents Michelle Bachelet, Ricardo Lagos, Eduardo Frei et Sebastián Piñera. En d’autres termes, Boric a permis aux représentants de l’administration de l’héritage de la dictature militaire, ainsi qu’aux principaux responsables des violations des droits de l’homme pendant la révolte de 2019, de signer un texte commun.

Tout cela se déroule dans un contexte où la droite est à l’offensive et cherche à imposer sa propre version de l’Histoire du coup d’État, rendant la gauche, les travailleurs et les organisations populaires responsables de cet événement. Un coup d’État qu’elle qualifie de « rupture institutionnelle », en se positionnant de manière démagogique comme une défenseuse de la démocratie. Au-delà du fait que Chile Vamos, le parti de Piñera, a finalement décidé de publier sa propre déclaration et a refusé celle proposée par le gouvernement, ce dernier lui a offert le moyen de continuer à nettoyer son image politique en invitant ses représentants à La Moneda pour commémorer la date anniversaire.

Or, aucun accord ou déclaration n’effacera le rôle politique historique joué par la droite. Elle a été l’instigatrice du coup d’État et a planifié, avec le grand capital, l’impérialisme américain et l’armée, le massacre froid et méthodique de la classe ouvrière organisée la plus avancée et la plus consciente de l’Amérique latine à l’époque. Leur offrir la signature d’un accord aujourd’hui revient à leur permettre d’effacer leurs responsabilités.

Mais il ne s’agit pas seulement de leur histoire. Il s’agit du présent, de ce que la droite elle-même revendique aujourd’hui. En témoigne la lecture récente par Les Républicains et Chile Vamos du projet d’accord voté il y a 50 ans qui a servi de justification politique au coup d’État. Cette lecture, le 22 août dernier, était un message clair adressé à l’ensemble du pays : « voilà ce que nous avons fait, nous le justifions et nous sommes prêts à le répéter ».

Ce n’est pas pour rien que le conseiller Luis Silva considère Pinochet comme un homme d’État. Ce n’est pas pour rien qu’ils ont cherché à justifier le coup d’État militaire, voire à justifier l’héritage néfaste de la dictature elle-même. Dans ce cadre, on ne peut que s’interroger sur ce que le Parti communiste pense de son gouvernement et de la ligne qu’il a adoptée, 50 ans après le coup d’État. Veut-il maintenant la réconciliation avec la droite criminelle, avec les militaires qui maintiennent leurs pactes de silence, dont les généraux vont rendre visite aux assassins de Victor Jara, comme l’a fait le général Iturriaga ? Veut-il l’unité nationale ?

Cette déclaration est une mascarade face à un pays divisé, traversé par un clivage qui ne cessera pas jamais d’exister ! Car il s’agit d’une division profonde qui ne s’arrêtera pas avec la signature d’une déclaration ou de bonnes intentions. Elle existera tant qu’il y aura de l’impunité pour les criminels, tant que l’œuvre économique et sociale de la dictature restera en place, tant que les grands hommes d’affaires qui se sont enrichis en pillant les entreprises publiques, alors qu’on torturait, exécutait et faisait disparaître, continueront à jouir de l’impunité et à profiter des richesses du pays.

Elle continuera d’exister tant qu’une petite minorité vivra aux dépens de l’exploitation et de l’oppression de la grande majorité, en pillant l’environnement, dans cette pantomime de démocratie où les travailleurs n’ont leur mot à dire qu’une fois tous les quatre ans dans les urnes, tandis que les grands hommes d’affaires et leurs politiciens légifèrent tous les jours. Et la droite continuera à défendre cette division. C’est pourquoi il ne peut y avoir de réconciliation avec elle.

En outre, en ce qui concerne les violations des droits de l’homme, il est clair que les pactes du silence autour des crimes de la dictature servent à protéger les criminels. Mais ils servent également à dissimuler le fonctionnement de la terreur d’État, car cette terreur sera à nouveau appliquée lorsque son pouvoir et l’ordre des grandes entreprises seront remis en question par la force et l’organisation des travailleurs. Nous ne pouvons pas être naïfs. Tant que l’État capitaliste, l’administrateur du grand capital, existera, et tant que cet ordre sera remis en question, ils essaieront d’appliquer à nouveau la terreur.

Cette répression, à une échelle différente et avec une intensité différente, a d’ailleurs continué à être appliquée pendant la transition, et continue à être appliquée aujourd’hui avec la militarisation du territoire mapuche, à la frontière nord, ou avec la loi qui met en place une présomption de légitime défense pour les forces de police.

Aussi, 50 ans après le coup d’État, nous saluons toute la génération de travailleurs qui s’est lancée dans la lutte pour le socialisme, comme les travailleurs des secteurs industriels, dont beaucoup ont commencé à voir que la stratégie d’Allende et de l’Unité Populaire menait à une impasse en cherchant un accord avec les démocrates-chrétiens et les militaires tout en désarmant et en réprimant le peuple. Nous rendons hommage à cette génération de jeunes, de femmes, de villageois et de travailleurs qui ont embrassé le militantisme révolutionnaire et ont donné leur vie pour affronter la dictature.

Nous n’acceptons pas la mascarade de la conciliation sociale. Nous ne nous réconcilions pas. Nous ne pardonnons pas et nous n’oublions pas. Nous affronterons les héritiers de Pinochet dans les rues, en reprenant le meilleur de la tradition combative et émancipatrice de la classe ouvrière et de l’ensemble des travailleurs. C’est le plus bel hommage possible, 50 ans après le coup d’État, à ceux qui sont tombés dans ce combat.


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