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Xénophobie d'État

Royaume-Uni : le Parlement valide l’expulsion massive des migrants vers le Rwanda

Après un an et demi de rebondissements, le parlement britannique a voté ce mardi un projet de loi visant à expulser les demandeurs d’asile vers le Rwanda. Une politique qui s’inscrit dans une surenchère xénophobe dans toute l'Europe.

Arsène Justo

13 décembre 2023

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Royaume-Uni : le Parlement valide l'expulsion massive des migrants vers le Rwanda

Crédit photo : Capture d’écran, Africanews

Ce mardi 12 décembre, le parlement britannique a voté une loi permettant l’expulsion massive des immigrés vers le Rwanda, ainsi que la nullification de plusieurs dispositions de la loi britannique sur les droits humains pour éviter les revers juridiques. Adopté à 313 voix pour et 269 contre, le texte revendiqué par le premier ministre conservateur Rishi Sunak comme étant « la loi la plus dure jamais adoptée contre l’immigration illégale » a parcouru un long chemin avant d’être adoptée, et représente un sursaut dans le durcissement de la politique migratoire à l’échelle européenne, alors que de nombreux pays s’appuient sur le modèle de l’Angleterre pour lancer l’externalisation des frontières et renforcer l’Europe forteresse.

Une loi inhumaine qui s’appuie sur des accords néo-coloniaux

Pour rappel, cette loi se base sur un accord signé le 14 avril 2022 entre le gouvernement britannique et le gouvernement rwandais, qui a déjà reçu 240 millions de livres sterling de la part des anglais. Une manoeuvre permettant au gouvernement du petit pays d’Afrique de l’est de se rapprocher diplomatiquement du Royaume-Uni, alors que des ONG dénoncent son soutien aux offensives militaires contre la République Démocratique du Congo, qui visent à lui permettre de s’emparer de ses mines de Coltan. C’est donc sur la base d’un conflit meurtrier entre semi-colonies que le Royaume-Uni de Boris Johnson a obtenu l’accord servant de base à sa loi.

La loi en elle-même s’inspire quant à elle d’une loi australienne adoptée au début des années 2000 et qui a permis au pays océanien d’expulser en masse ses demandeurs d’asile vers Nauru et l’île papouasienne de Manus, où les migrants subissent des violations récurrentes de leurs droits humains. Des violations des droits qui auront très certainement aussi lieu au Rwanda, ce que le gouvernement britannique sait d’ailleurs très bien, puisqu’il a inclut à sa loi un volet permettant de ne pas appliquer certaines dispositions de la loi britannique sur les droits humains, afin de limiter les recours en justice possible pour les migrants qu’ils voudront expulser.

La loi permet également aux ministres de ne pas appliquer les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, qui avait bloqué une première tentative de déportation en juin 2022. Le texte avait été à nouveau repoussée en décembre 2022 alors que les cas de 8 demandeurs d’asiles censés être expulsés étaient réexaminés. Puis elle avait été retoqué le 29 juin 2023 par la Cour Suprême britannique, avec comme explication que le Rwanda n’était pas « un pays tiers sûr », une décision confirmée en appel le mois dernier. C’est à l’issue de cette succession de rebondissements que la loi, réécrite pour correspondre aux exigences de la Cour, a été présentée au parlement et votée ce mardi.

Les conséquences sont donc prévisibles : des milliers d’immigrés, jugés « illégaux », seront déportés vers le Rwanda, à des milliers de kilomètres du Royaume-Uni et de leurs pays d’origine. Ils vont y subir des conditions d’accueil extrêmement dures : 40% de la population rwandaise vit sous le seuil de pauvreté, tandis que les exécutions extrajudiciaires et le recours à la torture y sont récurrents. Par ailleurs, d’après le Monde, de nombreuses associations accusent le gouvernement de « parquer les indésirables, notamment les mendiants, les enfants des rues et les prostituées, dans des centres de détention ». En mai, le Guardian, détaillait l’objectif du gouvernement d’expulser plus de 3000 personnes par mois grace au projet de loi, dès janvier 2024. Une politique inhumaine répondant aux surenchères racistes avec l’extrême droite et permettant au gouvernement d’agiter la xénophobie d’État comme sortie des crises économiques et politiques que subit le Royaume-Uni et le gouvernement conservateur de Rishi Sunak.

Une offensive qui s’inscrit dans un projet xénophobe plus large du gouvernement britannique

Face à sa position politique précaire, le gouvernement conservateur a cherché à faire de l’arrêt des « small boats » (les embarcations de migrants traversant la Manche) une politique centrale. Cela a déjà mené à toute une série de mesures extrêmes visant à dissuader l’immigration, qui ont systématiquement mené à des drames atroces et à des traitements inhumains des personnes immigrées par le Royaume-Uni. Parmi ces plans, on peut recenser l’utilisation de « machines à vagues » dans la Manche, l’exclusion des « migrants illégaux » des protections contre l’esclavage moderne, la tentative d’envoyer les migrants dans des « centres offshores » en Papouasie-Nouvelle-Guinée, sur les îles de l’Ascension et de Sainte-Hélène ou encore dans des centres « flottants » à bord de ferries hors d’usage en mer ou à bord de véritables prisons flottantes comme le « Bibby Stockholm » cet été.

Cette loi s’inscrit aussi dans le contexte des élections législatives qui approchent, alors que le ministre de l’Intérieur James Cleverly a annoncé le 4 décembre que « 300 000 personnes de moins pourront venir au Royaume-Uni dans les années à venir par rapport à l’année dernière », un projet particulièrement radical, que le gouvernement conservateur espère atteindre non seulement grâce à la loi d’expulsion vers le Rwanda, mais aussi, comme le rapporte InfoMigrants, par plusieurs mesures dures annoncées ce lundi : le relèvement de 47% du salaire minimum requis pour obtenir un visa de travail, l’interdiction du regroupement familial pour les travailleurs de la santé et les étudiants et la hausse drastique (de 66%) du coût de la santé pour les étrangers.

Le renforcement d’une « Europe forteresse »

Les ambitions xénophobes assumées du Premier ministre britannique rappellent celles du ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, qui déclarait à propos de sa propre loi qu’il s’agissait du « texte le plus ferme avec les mesures les plus dures depuis ces trente dernières années ». Derrière la similarité entre ces deux projets se cache une ambition commune : construire une Europe forteresse toujours plus inaccessible pour les migrants, tout en draguant politiquement une extrême-droite xénophobe de plus en plus décomplexée. En France, la loi immigration rejetée à l’Assemblée cette semaine (en partie par une droite réclamant un texte plus dur) est la déclinaison locale d’une surenchère à l’échelle du continent européen.

Cela passe notamment par un renforcement de ladite « externalisation des frontières ». Cette politique, qui combine durcissement xénophobe des frontières et sous-traitance néo-coloniale de leur gestion, concerne donc toute l’Europe. Le pacte immigration européen, qui devrait être voté d’ici l’année prochaine, prévoit entre autres de permettre le renvoi des immigrés vers des « pays tiers », une politique résultant d’une surenchère menée notamment par la dirigeante italienne d’extrême droite Giorgia Meloni. Ces derniers mois, plusieurs pays à l’instar de l’Italie et de l’Allemagne ont mis en place une externalisation de la gestion des demandes d’asiles dans des pays hors de l’UE, une pratique de « push-back » et d’expulsion systématique calquée sur le modèle anglais.

Cette politique anti-migrante, qui s’adosse à un néocolonialisme cru, est en fait à l’œuvre dans toute l’Europe et concerne tout aussi bien des gouvernements de gauche que d’extrême-droite, qui cherchent non seulement à durcir toujours plus l’accueil des migrants, mais qui s’attachent désormais à sous-traiter cette politique criminelle dans des pays semi-coloniaux. Pour mettre en échec cette politique meurtrière et l’extrême droite qui surfe sur la surenchère raciste des gouvernements, aux Royaume Uni comme en France, il est essentiel de défendre un programme profondément internationaliste et anti-impérialiste, en vue d’une lutte pour la régularisation de tous et toutes, ainsi que l’ouverture de toutes les frontières.


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