Femmes en grève, femmes en guerre

Qui sont les grévistes ? Portraits des guerrières du dépôt RATP de Flandre à Pantin

Du Pain et des Roses

Qui sont les grévistes ? Portraits des guerrières du dépôt RATP de Flandre à Pantin

Du Pain et des Roses

Amina, Rokia, Anais, Salimata, Nassima ou Raphael, sont quelques uns des protagonistes de cette grève reconductible qui atteint aujourd’hui le 51ème jour. Machinistes et grévistes au centre bus de Flandre de la RATP à Pantin, elles sont les combattantes qui luttent depuis près de deux mois pour renverser la réforme des retraites mais aussi pour une meilleure société et pour l’avenir de nous tou.te.s. Nous vous présentons dans cet article les portraits de ces guerrieres de la RATP, de ces machinistes qui ont laissé le volant pour batailler pour nous tou.te.s, de ces mères et pères de famille, de ces femmes précaires, en lutte.

La délégation Du Pain et des Roses à Flandre a interviewé cinq femmes grévistes sur leur vie, leur métier et leur vision de la mobilisation, pour faire de courts portraits de ces femmes qui lutte en première ligne contre le gouvernement depuis le 5 décembre. Nous avons aussi interviewé Raphael, gréviste à Flandre également, sur sa vision sur le féminisme.

Amina : “En tant que femmes on doit se mobiliser contre les violences policières, parce qu’elles sont aussi des violences faites aux femmes !”

“Je trouve que le métier de machiniste est assez dur, surtout lorsqu’on roule en banlieue parisienne. On souffre énormément d’agressions, et en tant que femmes nous sommes souvent plus susceptibles de nous faire agresser. J’ai dû être en arrêt maladie un an suite à une agression. Hamed [gréviste à Flandre et délégué CGT] m’a beaucoup aidé dans cette affaire, il est toujours là pour nous défendre, et nous on sera toujours là pour lui aussi.

Même si on ne gagne pas cette bataille, même si la reforme passe, je me dis que je suis fière. J’ai fait grève et j’ai combattu. Quand je retournerai au travail, j’aurais la tête haute, parce que je me serais battue pour l’avenir de nous tou.te.s, c’est pour ça que c’est à vous les jeunes de bouger et de faire en sorte que tout ça cesse. On s’est fait gazer, ils ont essayer de tout faire pour nous faire peur, mais ils n’ont pas réussi, on n’a pas peur et on continuera.

La grève m’a permis de faire de forts liens avec beaucoup de nouvelles personnes de tout horizon, c’est ça qui m’a donné la force. Ces liens vont se maintenir après la grève et vont nous permettre de préparer les prochaines batailles, il va falloir le faire.

Lorsqu’on parle de la retraite à points, on parle uniquement des femmes qui sont mères de famille, comme si toutes les femmes étaient mères de famille. On ne parle jamais des femmes qui n’ont pas d’enfants lorsqu’on veut parler de la situation des femmes, comment ça se passe ? Toutes les femmes ne sont pas forcément mères de famille.

Ce qui s’est passé avec Irène (gréviste de la RATP, matraquée par la police lors d’une manifestation contre la réforme des retraites) est inadmissible. C’est bien facile de mettre un uniforme, d’avoir une mattraque et une gazeuse, et de reprimer les gens, imaginez si c’était nous qui avions une gazeuse et une matraque... Ce qui est inadmissible c’est de taper une femme gréviste qui n’a pas de matraque, qui n’a rien pour se défendre, et qui a juste ramassé son téléphone. Mais ce qui me dégoûte le plus c’est Marlène Schiappa, elle est toujours là à dire qu’elle défend les femmes, elle est où aujourd’hui ? Elle était où lorsqu’Irène s’est fait matraquer ? En tant que femmes on doit se mobiliser contre les violences policières, parce qu’elles sont aussi des violences faites aux femmes !

De quel droit on réprime des manifestants ? Ça a commencé avec les Gilets Jaunes et maintenant ça continue avec nous. Ça veut dire qu’aujourd’hui en France on n’a plus le droit de manifester ? On doit juste fermer sa gueule. Pour moi, cela montre, qu’en France on vit dans une dictature. On critique les pays arabes parce qu’il y a des dictateurs, mais la France elle fait quoi ? Ici c’est la dictature du capital. L’État a le droit d’avoir des milliards dans les poches et c’est normal et leur seule force c’est la police.”

Nassima, 32 ans : “Même si la réforme passe, on reste déterminés et solidaires, on leur aura montré qu’il faut continuer pour marquer encore plus l’histoire”

“Machiniste gréviste et déléguée syndicale CGT. Il n’y a pas beaucoup de femmes syndiquées ici à la RATP, mais il faut aller les chercher, moi j’aimerais bien avoir une à mes côtés (elle rigole) ! J’ai fait un Bac pro commerce, j’ai fait des petits boulots et ensuite je suis rentrée en 2015 à la RATP au centre bus de Flandre. On roule dans un quartier pas très facile, pour une femme c’est un peu compliqué, on doit avoir un fort caractère, on n’a pas le choix. Mon mari ne fait pas grève, au début il y a eu des petites tensions autour de ça, même si financièrement ça serait compliqué pour nous de faire tous les deux grève.

Ça fait déjà un bon moment depuis le 5 décembre, mais c’est important de continuer pour marquer encore plus l’histoire, surtout si on arrive à la victoire. Même si la réforme passe, on reste déterminés et solidaires, on leur aura montré qu’on est là. Cette expérience est très intéressante, on a fait de la politique, on a fait des rencontres, cette bataille n’a pas du tout servi à rien.”

Rokia, 33 ans : “J’appelle toutes les femmes à rejoindre le mouvement pour que la grève s’élargisse et qu’elle continue.”

“Je suis à la RATP depuis 2009, je suis rentré en contrat pro, et après je suis devenue machiniste receveur.

J’ai deux filles qui auront 4 et 6 ans en février. Je les élève avec mon conjoint. Parfois c’est difficile de gérer les enfants et de se mobiliser en même temps, j’arrive à m’arranger pour venir sur les piquets mais quand il y a des manifestations en semaine, je ne peux pas venir car je dois aller chercher mes enfants à l’école et m’occuper d’eux. Parfois je sacrifie une journée de leurs écoles, je les réveille à 4h du matin et je les laisse chez ma mère pour pouvoir aller sur le piquet et ensuite aller manifester avec les collègues.

Nous les femmes, on est particulièrement impactées par la société actuelle, surtout dans le monde du travail. Selon le droit français, il y a l’égalité entre hommes et femmes, mais on voit bien que dans les faits l’égalité n’existe pas. Les femmes vont être également les plus impactées par cette réforme des retraites que le gouvernement veut nous imposer et c’est pour cela que c’est d’autant plus important qu’on se mobilise.

Ils ont essayé de légitimer leur réforme en disant qu’elle va nous bénéficier, mais c’est faux ! Si on les écoute, pour eux tout est bon et tout va nous bénéficier ! Les gilets jaunes se sont battu pendant un an, et ils ont eu que dalle. Nous, ça fait plus d’un mois et ils nous envoient la police sur les dépôts, c’est leurs gardes du corps. C’est le métier du policier, obéir aux ordres que donne le gouvernement.

Déjà, à la base une femme gagne moins qu’un homme, même s’ils ont le même poste, elles gagnent moins qu’un homme. Il y a des femmes qui mettent leur vie privée de coté, il y en a même qui ne font pas d’enfants pour ne pas être impactées dans leurs carrière. Maintenant et dans tous les combats, depuis les gilets jaunes, dans cette grève contre la réforme des retraites, les femmes doivent se bouger, parce qu’on est toujours les plus impactées. J’appelle toutes les femmes à rejoindre le mouvement pour que la grève s’élargisse et qu’elle continue.

Moi je trouve que les syndicats ne portent pas assez nos voix et nos revendications. Quand on regarde au niveau des directions syndicales ou des délégués c’est des hommes. Je ne dit pas qu’ils ne comprennent pas ou qu’ils ne peuvent pas nous défendre, mais il faut qu’il y est plus de figures féminines dans les syndicats, plus de femmes qui fassent de la politique.

On sent qu’il y a une forte mobilisation, et qu’il y a tous les corps de métiers confondus qui sont impactés par cette grève. Nous, nos enfants, nos petits enfants, tout le monde va être touché. Déjà les retraités de maintenant ne touchent pas assez pour vivre dans de bonnes conditions, mais là c’est bon, il faut vraiment qu’ils retirent cette réforme.

Salimata : “J’ai fait des liens très forts pendant la grève, et ça personne va me l’enlever.”

“Je travaille à la RATP depuis 2014. J’ai un fils de huit ans que j’élève toute seule. C’est un peu compliqué pour moi avec la grève, mais j’arrive à m’en sortir, en m’organisant et en faisant tout à l’avance. Quand je viens au piquet, je m’arrange avec son père pour qu’il le garde.

Je suis en grève et je continuerai à me battre pour mon avenir, pour l’avenir de nos enfants et pour l’avenir de nous tou.te.s. Depuis le 5 je suis là, pourquoi m’arrêter en cours de chemin ? Je serais toujours là. Même si on perd cette bataille, je serais là, et je saurais que je me suis battue. J’ai fait des liens très forts pendant la grève, et ça personne va me l’enlever.”

Anais, 32 ans : “Je veux leur laisser un monde où ils n’aient plus peur de travailler ou de savoir s’ils vont ou pas avoir une retraite, un monde où tu ne fais pas que survivre.”

“Je suis mère de deux enfants, d’un nouveau né de quelques mois et d’un enfant de 6 ans. Moi je fais grève pour mes enfants, je veux pas leur laisser ce monde, je veux leur laisser un monde où ils n’aient plus peur de travailler ou de savoir s’ils vont ou pas avoir une retraite, un monde où tu ne fais pas que survivre. C’est inadmissible de faire travailler les gens jusqu’à la mort, ça met les gens en danger.

Je ne suis pas syndiquée, mais j’ai de la confiance en Ahmed, Rhiad (délégués syndicaux et grévistes de Flandre), avec la grève je les connais mieux et je sais qu’à Flandre, dans notre dépôt, eux et les autres travailleurs prennent ça très à cœur.

Dans notre métier il faut savoir s’imposer, avoir une grande gueule, pour ne pas se faire agresser, insulter ou cracher dessus. Les gens s’en foutent du fait qu’il y ait des femmes en difficulté, qu’elles soient mères, isolées, parce que sinon ça aurait déjà changé. Moi toute seule je ne peux rien changer, c’est pourquoi les femmes doivent être solidaires entre elles, avec les hommes.”

Raphael, 28 ans : “Moi j’ai trois filles, moi je me bat aussi pour elles et leur avenir, et je viendrais manifester avec vous pour les femmes.”

“Nous, on est des enfants d’ouvriers. Mon père est venu du Portugal à l’âge de 11 ans, il a commencé le travail à 14 ans comme mécanicien. Mon père a aujourd’hui 60 ans, il vient d’être à la retraite, il est fatigué. Moi je ne peux pas regarder des hommes ou des femmes travailleurs comme mon père et leur dire, “oui, on va vous rajouter quatre ans dans les dents”. Ils veulent faire mourir les gens au boulot, et tout ça pourquoi, pour des cacahuètes ?

Je me suis rendu compte, par exemple, du fait que nous [les hommes], on a une prime lorsqu’on fait un certain nombre de jours de travail à l’année. Si tu n’effectues pas ce certain nombre de jours, tu n’as pas la prime. Mes collègues comme Nadia ou Salimata (machinistes grévistes au dépôt de Flandre), qui élèvent leurs enfants seules, sont obligées de se mettre en arrêt lorsque leurs enfants tombent malade, par exemple. Du coup, dans la logique, moi je vais avoir droit à une prime car ma femme qui ne travaille pas garde les enfants, et mes collègues, qui élèvent seules les enfants, ne vont pas toucher cette prime. Moi, avant je ne connaissais pas le féminisme, c’est avec vous, les gilets violets, que j’ai commencé à comprendre plus. On parle des féministes comme si vous viviez dans un monde à part, mais en fait on a le même combat. C’est comme ce qu’on dit depuis le début, on est solidaires et on reste unis. Soit on reste ensemble et on lutte tous ensemble, soit on se la joue chacun dans son coin et on se fait bouffer. Moi j’ai trois filles, moi je me bat aussi pour elles et leur avenir, et je viendrais manifester avec vous pour les femmes.”

Caisse de grève des machinistes de Flandre

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