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Prime « présence » à la RATP : « Ils veulent casser nos luttes sans toucher aux conditions de travail »

Un machiniste de la RATP malade ou en grève ? Tant pis pour lui : il s’assiéra sur sa prime. Jamais en reste sur le terrain anti-social, la RATP vient d’instaurer une nouvelle prime de « présence » pour les chauffeurs de bus à la fois mensongère envers ses travailleurs et antigrève.

Léa Luca

26 octobre 2022

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Crédit photo : AFP

Une nouvelle prime à la RATP … à condition de ne pas avoir été malade ni gréviste

Face à la pénurie de chauffeurs, la direction de la RATP a sorti une nouvelle invention de son chapeau : une prime de présentéisme. La prime exceptionnelle pour les conducteurs de bus est censée récompenser l’assiduité de ses agents pour lutter contre un absentéisme qui serait soi-disant responsable des importants problèmes de fonctionnement au niveau du service de bus. Elle est actuellement prévue pour une durée de trois mois, mais est renouvelable, et rétroactive (comprenant le mois d’octobre).

Tout d’abord et contrairement à ce que beaucoup de titres de presse le laissent entendre, il ne s’agit pas d’une prime mensuelle de 450 euros. Ainsi à partir du 1er octobre, prévue sur une durée de trois mois, les conducteurs de bus à la RATP pourront par paliers, toucher 100 euros brut s’ils n’ont eu aucune absence au mois d’octobre, puis 150 pour le mois de novembre, toujours s’ils n’ont eu aucune absence et 200 pour le mois de décembre, dans les mêmes conditions (voir ci-dessous).

Extrait de la note interne de la RATP datée du 12 octobre, au sujet de la mise en place de la prime

En revanche, comme le présente le tableau suivant, s’ils ont par exemple une absence au mois de novembre, la prime retombera au premier pallier et l’agent RATP ne touchera que 100 euros brut s’il n’a aucune absence au mois de décembre.

Chaque mois, pour pouvoir toucher la prime le mois suivant, un conducteur aura dû n’avoir aucun jour d’absence, même en cas de maladie, d’enfant malade, d’aide nécessaire à un proche, d’accident du travail ou même d’agression lors d’un trajet, ou de grève. « Tu te fais agresser tu n’as pas cette prime », nous explique Yassine, machiniste et militant CGT bus du centre bus de Malakoff. De même tous ceux qui se sont mis en grève pour les salaires lors de la journée de mobilisation nationale du 18 octobre ne la recevront pas le mois prochain.

Mascarade médiatique : les conducteurs responsables de la destruction de la RATP ?

Via cette prime et tout le discours médiatique qui l’accompagne, la RATP cherche à faire peser la responsabilité des dysfonctionnements massifs dans l’entreprise sur les conducteurs et leur absentéisme. « Cette communication reprise par les médias sert à pointer du doigt de méchants conducteurs qui ne voudraient pas travailler, qui voudraient rester chez eux, et ça serait pour ça qu’il y aurait des temps d’attente aussi énormes entre les bus », nous dit Yassine.

En réalité, les difficultés sur le réseau sont la conséquence directe de la politique de casse des conditions de travail au sein de l’entreprise, qui ont connu une nouvelle accélération au cours de l’été : « Il y a une vague de démission qui explique ces temps d’attente, et une vague de burn out. L’année dernière dans mon centre bus, mon RRH a démissionné et on parle de RRH en burn-out sur certains dépôts. C’est symptomatique de quand une entreprise va mal, c’est-à-dire que même l’encadrement a du mal à garder le cap.

Depuis le 1er août la direction a appliqué de nouvelles conditions de travail qu’elle a décidé unilatéralement, sans signature avec aucune organisation syndicale représentative. Ce qui fait qu’on se tape des services avec une heure en plus par jour avec une contrepartie annuelle de 240 euros. Plusieurs primes ont été supprimées. Il y a aussi eu la fin des barrières repas : avant, un service du matin ne pouvait pas finir après 14h, aujourd’hui tu peux avoir un service qui commence à 10h30 et qui finit à 18h, sans pause repas, etc.
Ces nouvelles conditions de travail ça a été des changements brutaux sur les agents, donc beaucoup ont démissionné, ont fait des abandons de poste, ou sont aujourd’hui en arrêt pour dépression.
 »

Alors que les médias n’hésitaient pas il y a peu encore à parler de la RATP comme d’un paradis social, ce à quoi on assiste aujourd’hui ce sont les résultats de la destruction sociale en son sein et leur impact direct sur les travailleurs comme les usagers. « A ceux qui utilisent la prime pour nous pointer du doigt, qu’ils nous expliquent pourquoi les gens démissionnent : pourquoi eux même ne viennent pas à la RATP ? Pourquoi personne ne veut venir au paradis ? Et pourquoi ceux qui sont au paradis ne veulent pas y rester ? » continue Yassine.

Dans une période convulsive, mieux casser les futures grèves

Hypocrite et insultante pour les agents de la RATP, cette prime d’assiduité ne résoudra en rien des problèmes de service qui sont le résultat direct des politiques de destruction sociale et de privatisation menée par la RATP. Son seul effet réel est en revanche de dissuader toujours plus les travailleurs de se mettre en grève dans une période qui s’annonce d’ores et déjà convulsive sur le plan social. « C’est une manière de casser les futures luttes », explique Yassine.

En effet, dans un contexte d’inflation massive et de grèves pour les salaires dans de nombreux secteurs, plusieurs dates de mobilisation sont déjà posées pour les prochaines semaines, à commencer par le 10 novembre (appel à la grève pour les conducteurs de métro et de RER). Mais surtout, alors que se prépare pour cet hiver le passage en force de la réforme des retraites, le gouvernement comme la direction n’ont pas oublié le potentiel inflammable de la RATP. Lors de la grève des retraites de l’hiver 2019-2020, les travailleurs de la RATP, avaient été le fer de lance de la mobilisation.

« Il faut exiger des augmentations de salaire, pas des primes. L’inflation ne va pas s’arrêter dans trois mois et ces primes ne comptent pas pour nos retraites. Cela sert à rien de travailler toute sa vie pour une retraite misérable à la fin » continue Yassine.

Alors que les grèves pour les salaires se multiplient dans le pays, les conducteurs de bus de Keolis du dépôt de Montlhéry (Essonne) viennent de remporter des augmentations de salaire après dix jours de grève. Dans un secteur de plus en plus éclaté du fait de l’ouverture à la concurrence, les conducteurs de bus vont devoir se coordonner entre différentes entreprises du transport et construire un plan de bataille commun. « Il nous faut un plan pour partir tous en grève, comme ont montré les raffineurs, pour des augmentations de salaire pérennes et de bonnes conditions de travail » conclue Yassine. A bon entendeur.


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