Leur féminisme et le nôtre

Marlène Schiappa : un « féminisme » raciste et sécuritaire

Cécile Manchette

Marlène Schiappa : un « féminisme » raciste et sécuritaire

Cécile Manchette

Ces derniers mois, Marlène Schiappa a fait du « féminisme » un pilier de l’offensive réactionnaire du gouvernement, accusant celles et ceux qui dénonçaient cette instrumentalisation, et notamment Révolution Permanente, de complicité avec des pratiques réactionnaires. Retour sur ce nouvel avatar du féminisme bourgeois.

Marlène Schiappa : le féminisme au service du tournant sécuritaire du gouvernement

Ces derniers mois, Marlène Schiappa a incarné avec une évidence particulière le tournant sécuritaire et raciste opéré par le gouvernement. Devenue en juillet 2020 ministre déléguée chargée de la Citoyenneté attachée au Ministère de l’Intérieur, l’ex-secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes est venue apporter une caution « féministe » aux projets les plus réactionnaires du gouvernement, à l’image de la loi séparatisme.

Le 9 décembre dernier, lors de la conférence de presse qui suivait la présentation en Conseil des Ministres du « projet de loi confortant les principes républicains », nouvelle appellation du controversé « projet de loi contre le séparatisme », Marlène Schiappa intervenait ainsi sur son nouveau registre favori. « Nous ne donnerons plus de titre de séjour à des personnes qui sont polygames » notait par exemple la ministre. Concernant les mariages forcés, elle affirmait également que « des associations et des ONG pourront alerter les officiers d’état civil lorsqu’elles ont connaissance de mariages forcés », et que ces derniers auront désormais l’obligation de saisir le procureur de la République en cas de soupçon. Enfin, la ministre annonçait de nouveau que le projet de loi comportera une disposition pour interdire les tests de virginité imposés aux jeunes femmes avant leur mariage.

Alors que nous dénoncions cette opération d’instrumentalisation réactionnaire en décembre dernier, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, et ex-Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, retweetait un article de Révolution Permanente, affublé d’un commentaire accusant « l’extrême-gauche » de « défendre les mariages forcés, la polygamie, les tests de virginité ». Un tweet suivi d’un ensemble de commentaires, abondant dans son sens, de différentes marcheuses tel qu’Aurore Bergé, députée des Yvelines et présidente déléguée du groupe LREM à l’Assemblée nationale, ou encore Nathalie Loiseau, députée européenne LREM, connue pour avoir figurée sur une liste étudiante d’extrême-droite lors de ses études à Sciences Po.

L’attaque menée sur Twitter a été répétée quelques jours plus tard dans une interview donnée au journal Le Point ainsi que dans une interview à la radio, accusant l’extrême gauche, de participer à une « inversion des valeurs » et de « défendre ces coutumes moyenâgeuses » aux cotés des « islamistes ». Une offensive contre l’extrême-gauche dans la droite ligne des déclarations de Jean-Michel Blanquer après l’attentat contre Samuel Paty, fustigeant « une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles » et allant jusqu’à évoquer « une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. ».

Une rhétorique qui transforme ceux qui dénoncent le projet de loi contre le séparatisme ou l’instrumentalisation du meurtre de Samuel Paty, en complices des « islamistes », c’est-à-dire des terroristes dans la bouche d’un gouvernement qui n’hésite pas à manier les amalgames. Le gouvernement depuis décembre a poursuivi son offensive réactionnaire la déclinant notamment dans l’éducation nationale et les universités. Depuis la présentation du projet de loi, l’annonce, pour ne citer qu’elle, de l’interdiction des certificats d’allergie au chlore dans les écoles ou encore les déclarations de Frédérique Vidal selon lesquelles l’islamo-gauchisme gangrène le milieu de la recherche, sont allées dans le sens d’alimenter une rhétorique xénophobe et raciste.

A l’inverse de ces accusations diffamatoires, notre position consiste à rappeler que le discours de Marlène Schiappa et les lois promues par le gouvernement vont à l’encontre du féminisme et ne constituent en rien une avancée pour les femmes qu’elle prétend défendre. En dernière instance, elle vise à légitimer l’offensive réactionnaire plus globale qui stigmatise les étrangers et les personnes musulmanes. De fait, le « féminisme » de Schiappa s’inscrit dans un courant plus large qui constitue une impasse pour les droits des femmes mobilisant une rhétorique féministe à des fins racistes, qu’on appelle fémonationalisme.

Un féminisme réactionnaire qui vient de loin

En premier lieu, rien ne justifie de faire figurer de telles dispositions dans un projet de loi visant explicitement « l’islamisme radical », d’après le premier ministre Jean Castex lui-même, si ce n’est pour laisser entendre que les musulmans ou les étrangers seraient la principale menace pour le droit des femmes, ou les principaux auteurs d’actes voire de crimes sexistes en France.

La rhétorique de Schiappa n’est pas nouvelle. Dès les années 1980, on a en effet vu se décliner sur le terrain du droit des femmes le discours anti-immigrés et islamophobe qui se développe à large échelle dans le cadre du retournement de la conjoncture économique, du durcissement de la politique migratoire de l’État français. A la fin des années 1980, l’affaire du voile de Creil conduit ainsi des figures du féminisme français à prendre position en faveur de la campagne islamophobe visant les collégiennes voilées. A l’initiative notamment de féministes comme Gisèle Halimi un meeting « Pour la défense de la laïcité. Pour la dignité des femmes » est organisé à la Mutualité le 28 novembre 1989 pour soutenir l’interdiction du voile. Des organisations telles que le Planning familial y appellent. En 2003, la Commission Stasi « sur l’application du principe de laïcité » lancée par Jacques Chirac fait des droits des femmes un outil de légitimation de son rapport qui aboutira à la loi de 2004, interdisant les signes religieux « ostentatoires » à l’école, et visant de façon évidente le voile. En 2007, Nicolas Sarkozy n’hésite pas, de son côté, à dénoncer dans sa campagne : « ceux qui veulent soumettre leur femme, ceux qui veulent pratiquer la polygamie, l’excision ou le mariage forcé, ceux qui veulent imposer à leurs sœurs, la loi des grands frères, ceux qui ne veulent pas que leur femme s’habille comme elle le souhaite ».

Cette charge raciste revient à chaque fois pour accompagner des politiques de restructurations libérales, rassembler « le peuple » autour de « l’unité » républicaine et pointer du doigt tous ceux qui s’y opposent. Dans la droite lignée de cette instrumentalisation des droits des femmes, le discours de Marlène Schiappa vise à installer l’idée que l’Islam et les étrangers seraient le principal danger pour les droits des femmes en France. Il s’appuie sur une lecture culturaliste et xénophobe de l’oppression sexiste, proche de celle de l’extrême-droite, qui s’est d’ailleurs immédiatement retrouvée dans le tweet de Marlène Schiappa, à l’image du collectif « anti-immigration » raciste et xénophobe Nemesis.

Ce discours, que Sara Farris a désigné sous le concept de « fémonationalisme », alimente l’idée que le sexisme et le patriarcat seraient un problème de « civilisation », et non une oppression historique et structurelle à l’échelle mondiale. Il va de pair avec l’idée que la culture française et la civilisation occidentale est la plus à même de libérer les femmes. Dans cette logique, le 10 septembre dernier sur RTL, Marlène Schiappa, déclarait que « le harcèlement sexuel est quasiment inexistant en Corse. C’est quelque chose de culturel, le respect des femmes » afin de justifier que le projet de loi séparatisme cible exclusivement l’Islam et les étrangers. Des propos que dément justement l’actualité récente de l’île qui a précisément connu d’importantes mobilisations contre le harcèlement et les violences sexuelles. En juin dernier, à Ajaccio et Bastia, des centaines de femmes prenaient en effet la rue pour « briser le silence » et « éveiller les consciences » contre les violences sexistes et le harcèlement. Libération rapportait alors qu’un collectif de colleuses avaient reçu plus d’une cinquantaine de témoignages de victimes de violences sexuelles sur l’île.

Une impasse pour les droits des femmes qui accentue l’oppression

Ainsi, les annonces sur les certificats de virginité, les mariages forcés ou la polygamie s’inscrivent dans la droite lignée de ce qui existe déjà depuis plusieurs années, c’est-à-dire l’interdiction et la pénalisation de pratiques réactionnaires statistiquement minoritaires en France, associées à l’immigration et érigées en étendard de la politique « féministe » des gouvernements successifs. Or ces mesures racistes ont prouvé à chaque fois qu’elles ne faisaient qu’exposer les femmes concernées à encore plus de violence. A ce titre, l’interdiction du regroupement familial polygamique qui permet de retirer le titre de séjour d’étrangers reconnus comme polygames existe depuis la Loi Pasqua de 1993, et l’instrumentalisation raciste de cette question avait déjà été critiquée à l’époque. Dans un article, Danièle Lochak, juriste spécialiste du droit des étrangers et présidente du GISTI expliquait ainsi :

« On a beau détester la polygamie (du moins lorsqu’elle est officiellement consacrée par le mariage, car la tolérance pour les doubles ménages de fait, on le sait, est très grande), comment admettre que des personnes qui ont vécu en France pendant des années – plusieurs dizaines d’années parfois – avec deux épouses, sans qu’on ait rien trouvé à y redire, se voient brusquement refuser le renouvellement de leur titre de séjour et donc obligées de quitter la France ? Est-ce vraiment acceptable ? (…) Ainsi, sous couvert de lutter contre la polygamie, on pénalise d’abord les femmes. Mais on pénalise aussi les enfants, parfois d’ailleurs de nationalité française, qui ont vocation à vivre en France. (…) Les principes, ici, servent d’alibi à une politique qui n’a qu’un objectif : réduire le nombre d’étrangers résidant en France, et surtout, refuser le droit au séjour aux catégories d’étrangers présumées les moins assimilables. »

Evidemment, à y regarder de plus près les chiffres et les quelques études régulièrement relayées par la presse à chaque sortie xénophobe des gouvernements successifs, rien n’indique que ces mesures pénales et répressives ont permis de réduire ces pratiques, pas plus que le féminisme d’Etat ne parvient à en finir avec les violences sexuelles. Si les considérations culturalistes et xénophobes visent ainsi à côté concernant le sexisme, elles produisent en revanche des effets réels. Stigmatisées comme étrangères ou comme musulmanes, les femmes concernées se trouvent, dans le même temps, confrontées au risque de la répression et d’une précarisation accrue de leur condition. En les pointant du doigt et en faisant peser sur leurs familles, voire sur elles-mêmes, le risque de l’expulsion, Marlène Schiappa ne fait ainsi que renforcer les oppressions qui pèsent déjà sur elles. Le fémonationalisme de Schiappa leur enlève toute capacité d’action, en prétendant que leur libération viendra par les lois répressives de l’Etat impérialiste français. Ainsi, Schiappa est guidée par une logique répressive et raciste qui ignore l’imbrication des oppressions en jouant précisément une oppression contre une autre. Les mesures du gouvernement constituent alors de réelles attaques contre les droits des femmes concernées, et servent surtout à renforcer l’arsenal répressif mis en place dans les quartiers populaires. L’illustration de ce mécanisme est l’adoption, en 2018, d’une loi visant à punir « l’outrage sexiste » et plus particulièrement le harcèlement de rue. Projet porté par Marlène Schiappa et étroitement lié à un renforcement des dispositifs policiers mis en place dans certains quartiers. En réduisant le débat au sexisme dans « la rue », alors que les insultes, le harcèlement et les atteintes physiques et sexuelles étaient déjà punis par la loi avant cette mesure, le gouvernement visait explicitement les « les hommes des classes populaires et racisées » comme le dénonçaient déjà dans une tribune plusieurs universitaires en 2017.

En 2007, la sociologue Sylvie Tissot dresse, dans un article, un « bilan » de ce qu’elle appelle « féminisme d’Etat » : « Le féminisme est ainsi devenu l’une des « métaphores du racisme » : il alimente des représentations et des pratiques racistes, mais sur un mode euphémisé et par conséquent « respectable ». (…) Il est devenu légitime en effet, paré de la caution féministe, de stigmatiser « l’islam », désigné comme religion sexiste, de renvoyer les femmes musulmanes, a fortiori voilées, à leur aliénation. Ce discours n’a pas seulement libéré la parole raciste, mais il a aussi été mobilisé concrètement, à l’occasion de lois restreignant les droits humains, c’est-à-dire aussi bien des hommes que des femmes ». Une conclusion qui souligne l’impossibilité de placer le moindre espoir de mettre fin au patriarcat entre les mains de l’État.

Pour un féminisme anti-impérialiste et en toute indépendance de l’Etat pour lutter contre les violences faites aux femmes

Pour toutes ces raisons, à l’heure où ce discours tend à se renforcer, il est fondamental pour le mouvement féministe d’opposer un discours clair et sans concessions en dénonçant l’instrumentalisation du combat pour les droits des femmes opéré par le gouvernement et sa ministre, Marlène Schiappa. C’est dans ce sens qu’avec Révolution Permanente, et notre collectif féministe Du Pain et des Roses, nous avions été à l’initiative d’une tribune féministe pour interpeller le mouvement féministe ainsi que les directions du mouvement ouvrier.

Pour ce faire, cela suppose de s’attaquer aux racines de ce fémonationalisme qui sert à habiller des couleurs de la lutte pour les droits des femmes, la politique impérialiste de l’Etat français. Un gouvernement qui ne fait que peu de cas de ces questions lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts économiques. Premier fournisseur d’armes de l’Egypte, ou encore de l’Arabie Saoudite, l’Etat français n’a ainsi aucun problème à faire affaire avec ces deux pays des plus réactionnaires par rapport aux droits des femmes, ou encore à couvrir les viols et les crimes sexuels de l’armée française à l’étranger.
Ainsi c’est précisément avec ce type de régimes qui oppriment les peuples et en particulier les femmes, quand ils n’encouragent et financent pas l’émergence de courants religieux fondamentalistes (profondément réactionnaires envers les femmes et minorités de genre), qu’Emmanuel Macron et son gouvernement collaborent.

En réalité, la xénophobie entretenue par l’Etat français sur son sol permet de justifier idéologiquement ses interventions militaires ainsi que ses investissements économiques à l’étranger. L’oppression et l’exploitation d’une grande partie des femmes racisées en France par l’Etat français et sa participation au maintien des femmes de nombreux pays dans le monde dans une situation d’exploitation et d’oppression aggravée, vont donc de pair.

Par ailleurs, le fémonationalisme invisibilise la réalité de l’oppression patriarcale, et le rôle que joue l’Etat dans son maintien et sa reproduction. En ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles, des études ont montré que les féminicides touchent toutes les catégories sociales sans distinction de race, malgré la volonté de l’extrême droite de construire la figure du jeune homme étranger, arabe ou noir comme étant à l’origine de la majorité de ces violences. Les récentes affaires Duhamel, Gérald Darmanin, Julie, SciencesPorcs, etc. le prouvent.

Les féminicides ou encore les violences incestueuses, ne sont que le bout d’une longue chaîne de violences patriarcales dissimulées et banalisées que sont le dénigrement quotidien des femmes, de leurs corps, de leur sexualité, la délégitimation de leur parole, le fait qu’elles portent sur leurs épaules la majorité des tâches domestiques dans la sphère privée, leur précarisation accrue etc. Et si ces aspects de l’oppression patriarcale peuvent frapper toutes les femmes, ils sont redoublés, pour les femmes ouvrières et des quartiers populaires, par la précarité économique mais aussi le racisme à laquelle celles-ci font face. Des éléments que le gouvernement ne fait qu’accroître au travers de ses politiques néo-libérales et de ses lois sécuritaires.

Quel féminisme devons-nous opposer à celui, raciste et répressif de Schiappa et cie. ? Il faut défendre un féminisme lutte de classes, anti-impérialiste et indépendant de l’Etat et de ses institutions. Pour ce faire, contre toutes les violences sexistes et sexuelles mais aussi contre l’islamophobie qui est une violence faites aux femmes, nous défendons d’une part, entre autres, la réquisition des logements vides, des fonds d’urgence et la garantie d’un revenu pour toutes les victimes de violences, l’interdiction des licenciements, et d’autre part, l’abrogation de toutes les lois islamophobes, sécuritaires, la régularisation des sans-papiers ou encore le retrait des troupes françaises à l’étranger.

Il faut porter ce programme en toute indépendance de l’Etat et de ses institutions sur nos lieux de travail et d’étude. C’est un programme pour le pain, mais aussi pour les roses, avec la force de toutes celles et ceux à qui le gouvernement compte faire payer la crise économique et sanitaire, c’est-à-dire avec la force des travailleurs et des jeunes, composé.e.s en grande partie de femmes et de personnes racisées. Cela suppose de construire, urgemment et dès maintenant, une opposition par l’auto-organisation et dans la rue au gouvernement, et de ne placer aucune confiance dans les lois racistes et xénophobes de l’exécutif.

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