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Routiers

La grève des routiers absente de la mobilisation, que font les directions syndicales ?

Alors que plusieurs secteurs sont entrés en grève reconductible depuis le 7 mars, les grèves et blocages des routiers sont loin d’être au rendez-vous. Si ce n'est pas la colère qui manque chez les travailleurs du transport, leurs directions syndicales restent l'arme au pied tout en négociant discrètement avec le gouvernement.

Rafael Cherfy

15 mars 2023

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La mobilisation du 7 mars a été historique avec près de 3,2 millions de manifestants selon la CGT. Si la grève a été forte dans des secteurs comme la SNCF, les raffineries ou les éboueurs, qui sont depuis le 7 mars en grève reconductible, d’autres secteurs occupant une place stratégique dans l’économie n’ont, pour l’heure, pas vraiment été au rendez-vous. C’est le cas par exemple des travailleurs du transport routier qui emploie plus de 400 000 salariés en France.

Le 7 mars, ces derniers n’étaient que peu mobilisés. En effet, au-delà de quelques actions comme le blocage du port de Gennevilliers organisé dès le 6 mars à l’initiative des travailleurs de Geodis, la mobilisation des routiers n’a pas marqué les esprits. Pour l’illustrer, le 7 mars le même point de blocage de Gennevilliers tenu par les routiers n’as finalement duré que quelques heures.

Pourtant, une chose est sure : la colère ne manque pas chez les travailleurs à la base. Non seu-lement, les routiers sont très touchés par la réforme des retraites, puisque l’âge de départ sera décalé de deux années supplémentaire. Mais surtout les conditions de travail dans le secteur sont parmi les plus pénibles du monde du travail : horaires décalés, mépris des patrons, sa-laires souvent au-dessous du SMIC. Mais alors que la colère accumulée est profonde, comment expliquer l’absence des routiers au sein du mouvement actuel ?

Division syndicale, appels flous… : les directions syndicales sont responsables

La CFDT, première organisation des transports routiers avec 34,24 % aux élections profession-nelles de 2021 a bien une responsabilité écrasante dans le refus d’une mobilisation générale. Contrairement à la CFDT Cheminots, celle-ci est finalement restée alignée sur des appels aux journées d’actions isolées de l’intersyndicale nationale sans aucune volonté d’en faire de réelles journées de grève.

Le délégué syndicale de la CFDT Route avait donné le ton le 6 mars : « On n’appelle pas au blocage mais à l’arrêt » a assuré Patrick Blaise dans une interview à Sud-Radio. La CFDT s’était ainsi contentée d’appeler à « stopper le travail le 7 mars  », évacuant toute possibilité d’une reconduction du mouvement. Si la centrale syndicale revendique avoir mené 60 points d’actions appuyées par ses 60 000 syndiqués (soit 1000 syndiqués par point d’actions ce qui n’aurait pas dû passer inaperçu), elle est très peu apparue sur la journée du 7 mars et a totale-ment disparu le lendemain. Dans la foulée, la direction de la CFDT Route a communiqué le 9 mars en se contentant d’appeler à la mobilisation du 11 et 15 mars, sans même mentionner le mot « grève ».

La deuxième organisation syndicale la plus représentative du secteur avec 24,81 %, c’est la fé-dération CGT transport. Cette dernière avait appelé « à mettre au débat avec les salariés le durcissement de l’action et la reconduction du mouvement à partir du 7 mars » dans un com-muniqué du 14 février. Un appel à « débattre » de la reconductible qui ne constituait pas en tant que tel un appel clair à la reconductible. Quant à FO, qui représente 20,75 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles, la fédération avait publié un communiqué le mercredi 22 février pour appeler « l’ensemble des conducteurs routiers à se mettre à l’arrêt à partir du dimanche soir 5 mars 22 h 00 » et « à reconduire l’arrêt de travail des routiers les 6, 7 mars... » sans s’avancer sur une reconductible illimitée. Des appels flous qui n’ont tous deux pas eu d’impacts réels et concrets sur la dynamique de la grève du 7 mars alors même que les routiers, de par leur position stra-tégique, peuvent paralyser le pays.

Concernant la CFTC elle a seulement relayé un appel à manifester le 7 mars et du côté de la CFE-CGC aucun appel n’as été relayé publiquement, avec les dernières publications du compte Twitter de la fédération qui mettent en avant le « dialogue social » avec le ministre des transports. Seule la fédération des transports SUD/Solidaires avait appelé clairement au blocage et à la grève reconductible à partir du 7 mars. Seulement cette dernière n’est cependant pas représentative dans le secteur.

Ainsi, avec d’un côté, FO et la CGT qui appellent à la grève reconductible à demi-mot, de l’autre, la CFDT et la CFTC qui militent timidement les journées isolées, les directions syndicales du transport routier créent la confusion. Un flou et une division syndicale délétère qui a fait primer les enjeux d’appareils sur la construction réelle de la mobilisation.

Des directions syndicales qui privilégient les négociations discrètes avec le gouvernement plutôt que la construction du rapport de force

Comme le titre le journal pro-patronal Les Echos : « le gouvernement a évité les blocages massifs de chauffeurs routiers ». En effet, la passivité des fédérations syndicales s’explique aussi par les négociations discrètes que mène le gouvernement pour tenter de canaliser au maximum la colère.

Ainsi, d’après Les Échos, le ministre des transports Clément Beaune, aurait récemment promis quelques garanties aux syndicats du transport routier concernant le « congé de fin d’activité » (CFA). Un dispositif qui fait office de régime spécial pour les chauffeurs poids lourds leur per-mettant de partir en retraite à 57 ans. Le ministre a ainsi indiqué avoir « pris des engagements majeurs, et peu de syndicats eux-mêmes s’y attendaient ». Concrètement, ce dernier aurait proposé un financement de 150 millions par an pour garantir le dispositif du CFA jusqu’en 2030.

Cependant, ces promesses sont loin d’être une avancée pour les chauffeurs poids lourds. Comme le résume le secrétaire général de FO Transports pour Les Échos : «  la réforme des retraites reculera de deux ans le dispositif CFA quoiqu’il arrive, soit de 57 ans à 59 ans ». Ainsi, ces « engagements majeurs » dont se vante le ministre des transports ne sont en réalité que des miettes.
Ainsi, les fédérations syndicales des routiers ont préféré négocier avec le gouvernement plutôt que de construire la mobilisation contre une réforme qui ne promet que la régression sociale pour tous les travailleurs, dont les routiers. Cet ensemble d’éléments doit rappeler le précé-dent des autres mouvements sociaux comme en 2016, 2019 ou lors des Gilets jaunes où les différents appels à la reconductible de la part des fédérations de routiers avaient finalement été retirées « in extremis ».

Dès lors, l’attitude générale des directions syndicales constitue, pour l’heure, une énième tra-hison contre le mouvement social actuel. En effet, l’entrée des routiers en grève reconductible pourrait modifier radicalement l’atmosphère en raison de son caractère stratégique. Et pour cause, dans une économie toujours plus à flux tendu, les routiers jouent un rôle central dans le fonctionnement de la société et assurent une partie considérable du transport de marchan-dises. L’arrêt du transport des marchandises et le blocage des routes peut ainsi déstabiliser en quelques jours l’approvisionnement de nombreuses industries, mais aussi des supermarchés, etc.

Face à une telle politique, il n’est cependant pas trop tard. Mais il y a urgence et cela pose la nécessité brûlante pour les routiers à construire une telle grève reconductible à la base et à interpeller leurs directions syndicales. La colère qu’exprimait dans nos colonnes Laurent, routier chez Geodis, doit s’organiser pour faire plier Macron. Comme ce dernier le résumait : « C’est super de déposer un préavis de grève illimitée. Mais il faut le coupler à un travail de terrain. Il faut convaincre les collègues routiers de la nécessité de la grève reconductible et générale. Certains qui n’ont jamais fait grève veulent la faire le 7 mars. Il y a une grosse colère qui veut s’exprimer ».


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