Déclaration du CCR, CRT, FIR et RIO

La gauche, entre l’illusion de réforme de l’Europe du capital et le retour au souverainisme

La gauche, entre l’illusion de réforme de l’Europe du capital et le retour au souverainisme

Les élections européennes du 26 mai ne vont pas seulement définir la composition du prochain Parlement. Elles serviront également de thermomètre des tendances politiques au sein des différents pays. Pour affronter l’Europe du capital et la xénophobie de l’extrême droite, il est nécessaire de combattre pour un programme internationaliste, anticapitaliste et de classe.

[illustration : Sigmar Polke, "Flüchtende" ["Les fugitifs"] (1992)]

La montée de l’extrême droite et l’approfondissement de la crises d’un certain nombre de partis de gouvernement sur le continent, avec des différences d’un pays à l’autre, voilà les principaux résultats qui devraient sortir des urnes ce 26 mai.

En France, après six mois de lutte persistante des Gilets Jaunes et de plusieurs journées de mobilisation qui ont été brutalement réprimées, avec à la clef des milliers de blessés et interpellés, la popularité de Macron continue à décroître. Dans ce cadre, selon plusieurs sondages, le score de la liste du Rassemblement National de Marine Le Pen pourrait dépasser celle du président, alors que La France Insoumise de Mélenchon est créditée de 10% des intentions de vote.

Ces élections pourraient également s’avérer une épreuve pour Merkel, qui s’est retirée de la direction de son parti, la CDU. D’après les dernières enquêtes d’opinion, qui soulignent un degré élevé d’abstention, la Grande Coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates atteindrait à peine 48% alors que la CSU-CDU et le SPD réalisaient 62% en 2014.

En Italie, la Ligue de Salvini avance au détriment du Mouvement Cinq Etoiles, ce qui ne va pas sans générer d’importantes tensions au sein de la coalition au gouvernement. En plus du traumatisme qu’est en train de générer le Brexit, la Grande-Bretagne va vivre une situation totalement absurde consistant à organiser des élections alors qu’il est probable que les élus ne siégeront même pas au Parlement. Tout semble indiquer que le Parti du Brexit, le mouvement nationaliste et xénophobe nouvellement créé par Nigel Farage, va devancer les travaillistes et les conservateurs, expression à la fois de la colère de l’électorat vis-à-vis des partis traditionnels mais également de l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations pour le Brexit.

Dans l’Etat espagnol, le gros des enjeux s’est joué lors des législatives anticipées du 28 avril qui ont vu la victoire des socialistes de Pedro Sánchez. La campagne pour ces européennes apparaît comme la poursuite de la campagne antérieure, et ce alors que les négociations vont bon train en vue de la formation du nouveau gouvernement. Il est probable que le PSOE consolide son score d’avril alors que le parti d’extrême droite Vox fera son entrée pour la première fois au Parlement, venant ainsi renforcer le bloc des partis d’extrême droite et populistes xénophobes à Strasbourg.

Les élections vont à nouveau souligner la persistance de la crise organique qui secoue les régimes de plusieurs pays européens et face à laquelle les classes dominantes cherchent des portes de sortie favorables à leurs propres intérêts. Mais les exploités également cherchent à tirer profit des fissures existant « en haut » pour exprimer leurs propres revendications « par en bas ».

On songera ainsi à la lutte des Gilets Jaunes en France, expression d’une colère sociale profonde, aux manifestations de fonctionnaires, d’enseignants et de travailleurs des transports contre le gouvernement Costa, au Portugal, aux manifestations massives de femmes le 8 mars dernier, aux mobilisations en Hongrie contre le gouvernement d’extrême droite de Viktor Orbán et contre sa réforme du marché du travail, mais également aux mobilisations historiques des masses en Algérie et au Soudan contre des régimes autoritaires soutenus historiquement par l’impérialisme européen – et notamment par l’impérialisme français. Tous ces phénomènes montrent le retour de la lutte des classes, mais également la nécessité qu’il y aurait à développer des fronts uniques pour lutter, à même de combattre le divisionnisme et les capitulations des directions syndicales bureaucratiques.

L’extrême droite et l’Europe du capital

Les partis d’extrême droite pourraient remporter près de 20% des sièges au Parlement européen. Si on ajoute à leur score celui des ultra-conservateurs, cela pourrait représenter autour de 30% des eurodéputés. Actuellement, à l’exception du Portugal, de l’Irlande, du Luxembourg, de Malte et de la Grande-Bretagne, l’extrême droite est présente dans les parlements nationaux de l’ensemble des pays de l’UE. L’Etat espagnol est le dernier à se rajouter à cette liste, avec l’entrée de Vox au parlement à la suite des législatives du 28 avril.

Indépendamment de leurs divergences, l’euroscepticisme est le trait commun de l’ensemble de ces courants même si la question de la rupture avec l’euro ne représente plus l’axe central de leurs programmes, la plupart d’entre eux étant davantage enclin à défendre une renégociation des traités pour renforcer les frontières nationales réactionnaires et récupérer des attributions déléguées à Bruxelles. Ils combinent une idéologie nationaliste, populiste et xénophobe, faisant appel à celles et ceux qui ont été oubliés par l’establishment de l’UE. Les migrants et les immigrés sont la principale cible de leurs attaques réactionnaires.

Néanmoins, la xénophobie croissante à l’égard des immigrés et des réfugiés n’est pas l’apanage programmatique de l’extrême droite. Il s’agit d’une réalité bien tangible de l’Europe-forteresse. Tous les gouvernements, qu’ils soient d’extrême droite, conservateurs ou sociaux-libéraux, ont durci les politiques d’accueil au cours des dernières années, notamment après l’été 2015, au cours de la crise migratoire. Il suffit de songer au fait qu’alors que des milliers de migrants continuent à périr en Méditerranée, ni le gouvernement d’extrême droite de Salvini ni le gouvernement « progressiste » du PSOE dans l’Etat espagnol n’autorisent les bateaux des ONG qui viennent en aide aux migrants à utiliser les ports italiens ou espagnols. L’ensemble des gouvernements ont recours à des centres de rétention, accélèrent les expulsions, et ce alors que l’UE a passé des accords réactionnaires avec la Turquie, le Maroc et la Lybie pour que leurs gouvernements jouent le rôle de gendarmes aux frontières de l’Europe.

Les flux migratoires augmentent et sont le fruit de situations de misère, de crise et de conflits dans les pays d’origine qui sont, bien souvent, provoqués par des interventions impérialistes. Alors que des centaines de milliers de personnes sont obligées de migrer pour échapper à la faim et à la guerre, les capitalistes et leurs Etats promeuvent le racisme et la xénophobie pour imposer des conditions encore plus précaires aux travailleurs immigrés en Europe, une façon d’augmenter leurs profits et de diviser la classe ouvrière. Les femmes immigrées, elles, sont confrontées à de multiples oppressions et occupent une bonne partie des emplois les plus précaires.

Que ce soit à travers l’OTAN ou à travers l’UE, les puissances impérialistes européennes maintiennent des alliances stratégiques avec des monarchies rétrogrades à l’instar de l’Arabie Saoudite, responsable du massacre du peuple yéménite, ou encore avec l’Etat sioniste d’Israël. Elles ont également appuyé les tentatives de coup d’Etat orchestrées par l’impérialisme étatsunien et par la droite au Venezuela, en reconnaissant, notamment, le gouvernement de Guaidó.

Dans ce cadre, il est urgent de défendre une politique internationaliste et de classe, en soutien aux peuples opprimés par l’impérialisme européen, qui exige l’arrêt des interventions impérialistes, l’annulation des dettes pour les pays exploités par l’impérialisme, le droit des peuples à l’auto-détermination, le droit à la libre-circulation des personnes, de pleins droits de citoyenneté pour les migrants, la fermeture des centres de rétention et l’abolition de toutes les lois racistes.

La gauche néoréformiste n’est pas une alternative

La gauche européenne se déchire entre des alternatives « souverainistes de gauche », comme La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon en France, et des propositions utopiques qui visent à réformer l’Union Européenne du capital, comme c’est le cas de la candidature d’Unidas Podemos dans l’Etat Espagnol.

Mélenchon déclarait dans une interview récemment que pour « entamer une nouvelle ère de la civilisation humaine » il n’y a qu’une solution : « abandonner les traités qui organisent l’UE ». Avec ce discours populiste de gauche, Mélenchon cherche à capitaliser le mécontentement envers les institutions de l’UE en proposant de restituer la « souveraineté nationale française ». Une position nationaliste de gauche qui flirte avec l’agenda xénophobe de l’extrême-droite. Mais la précarité, l’exploitation, la misère dans les quartiers populaires, la dégradation des services publics ou du pouvoir d’achat, ne sont pas la conséquence uniquement des « traités européens » et des politiques de Bruxelles. Ils sont surtout le résultat des politiques des différents gouvernements qui ont défendu les intérêts de la bourgeoisie française impérialiste au prix de la misère des travailleurs et des classes populaires en France et ailleurs. C’est cela que Mélenchon ne remet pas en cause, car il prétend rétablir la « souveraineté nationale » française par le biais de sa propre bourgeoisie.

Dans l’Etat Espagnol, la candidature d’Unidas Podemos se présente comme une alternative au « néolibéralisme et au néofascisme » en Europe et dénonce les alliances entre le groupe socialiste et le groupe populaire (centre-droit) au Parlement européen qui ont permis l’application des principales politiques néolibérales ces dernières décennies. Mais tout en dénonçant le PSOE au Parlement européen, ils prônent un gouvernement commun avec les sociaux-libéraux du PSOE dans l’Etat espagnol.

Une situation similaire se produit avec le Bloco de Esquesda (Bloc de Gauche) et le PC au Portugal, qui soutiennent depuis des années le gouvernement socialiste de Costa, champion du maintien des mesures néolibérales et des privatisations. Podemos, le Bloc de Gauche ou Die Linke, se proposent la tâche utopique et réactionnaire de « réformer » l’Union Européenne et de faire pression depuis les institutions de l’Europe du capital pour obtenir quelques miettes. Ils proposent de faire pression pour une « Europe démocratique », comme si l’UE n’était pas dès ses origines un bloc impérialiste sous l’hégémonie allemande pour défendre les intérêts des capitalistes, ce qui explique toute son architecture bureaucratique et réactionnaire.

L’exemple tragique de la Grèce en 2015, où Syriza est passé en quelques mois de la « nouvelle » gauche antilibérale à agent des privatisations, des coupes budgétaires et mesures d’austérité de la Troïka, a révélé l’impuissance des projets néoréformistes et démontre qu’il n’est pas possible de dépasser pacifiquement et graduellement l’Europe impérialiste dans le cadre du capitalisme.

Ni européisme ni souverainisme, internationalisme révolutionnaire

Ces deux grandes alternatives qui traversent la gauche européenne - européiste et souverainiste - sont toutes les deux réformistes et conduisent à une impasse. Pour affronter les politiques de l’Europe du capital et la xénophobie de l’extrême-droite, il faut lutter pour un programme internationaliste, anticapitaliste et de classe. Un programme qui permette de dépasser la fragmentation des rangs ouvriers, de combattre la xénophobie et de gagner pour cette perspective les secteurs des classes moyennes ruinées par la crise qui autrement pourraient devenir la base sociale de la démagogie de l’extrême-droite.

Un programme comportant des mesures d’urgence comme le partage des heures de travail entre tous sans baisse de salaire, la fin de la précarité et la l’annulation des réformes néolibérales, l’augmentation du salaire minimum au niveau du coût de la vie, la nationalisation des banques et des secteurs stratégiques de l’économie sous contrôle des travailleurs.

Face aux mesures austéritaires imposées par Bruxelles, nous proposons l’augmentation du budget de la santé, de l’éducation et des services sociaux à travers le non payement de la dette (et la lutte pour la l’annulation des dettes dans les pays créditeurs), ainsi que la rupture avec tous les accords et traités de l’Union Européenne.

Contre le racisme et la xénophobie nous nous battons pour la liberté de circulation pour toutes les personnes, pour les pleins droits politiques et sociaux pour les réfugiés et les migrants, pour la dérogation des lois anti-immigration.

Face aux politiques conservatrices « anti-genre » impulsées par le Vatican et l’extrême-droite, nous soutenons la lutte du mouvement de femmes et LGBT contre les violences de genre et l’homophobie, contre tout type de tentative de revenir sur les acquis comme le droit à l’avortement ou le mariage des personnes homosexuelles et sommes pour l’obtention de plus de droits, en même temps que nous affirmons qu’il n’est pas possible d’en finir avec les oppressions de genre, de race ou sexuelles dans le cadre du capitalisme basé sur l’exploitation et la misère de milliards de personnes pour garantir les profits d’une infime minorité.

Face aux tendances bonapartistes et répressives des Etats, nous défendons la liberté des prisonniers politiques et l’annulation des lois liberticides qui attaquent la liberté d’expression et de manifestation. Nous sommes pour la défense de l’auto-détermination des peuples, et nous soutenons la lutte du peuple catalan pour son droit à décider, contre la répression de l’Etat Espagnol.

Face à la catastrophe du changement climatique, nous proposons un programme qui cible le pouvoir des multinationales qui sont les principales responsables de la pollution et de la dégradation de l’environnement sur toute la planète. L’objectif de la réorganisation radicale du secteur de l’industrie de l’énergie devient urgent, en expropriant les grandes entreprises pour les placer sous gestion démocratique des travailleurs, sous la surveillance de comités d’usagers. La nationalisation sans indemnité et sous contrôle ouvrier de toutes les entreprises de transport, ainsi que les grandes entreprises de l’industrie de l’auto et du transport privé, parallèlement au développement du transport public à tous les niveaux. La nationalisation sous gestion directe des travailleurs de ces secteurs constituerait seulement le premier pas vers la nationalisation de l’ensemble des secteurs stratégiques de l’économie des villes et de la campagne, avec l’objectif d’établir un plan général véritablement soutenable.

Un programme de ce type ne peut être appliqué qu’à travers la lutte de classes dans toute l’Europe, reprenant la méthode des grèves générales et en dépassant la passivité imposée par les directions syndicales et les illusions « parlementaires » du nouveau réformisme.

Dans ces élections européennes, le CRT, co-signataire de cette déclaration, n’a pas présenté de liste mais appelle à voter pour le Mouvement Corriente Roja. Malgré d’importantes différences programmatiques et stratégiques que nous avons avec ce courant au niveau national et international, il se présente sur la base d’un programme d’indépendance de classe. En France, le quotidien en ligne Révolution Permanente, animé par le CCR du NPA, appelle à voter pour les candidats de Lutte Ouvrière.

Face à l’Europe du capital qui ne peut offrir davantage que de la misère et des tragédies sociales pour les travailleurs et les classes populaires, nous revendiquons la lutte pour des gouvernements ouvriers, dans la perspective des Etats-Unis Socialistes d’Europe.

Revolutionären Internationalistischen Organisation (RIO), Allemagne

Corriente Revolucionaria de Trabajadoras y Trabajadores (CRT), Etat espagnol

Courant Communiste Révolutionnaire (CCR) au sein du Nouveau Parti Anticapitaliste France

Frazione Internazionalista Rivoluzionaria (FIR), Italie

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