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Témoignage

Harcèlement homophobe à l’école : le gouvernement entre hypocrisie et répression, un AED témoigne

Une semaine après le suicide de Lucas, 13 ans, suite au harcèlement homophobe qu'il subissait, Benoît* témoigne de son expérience en tant que qu'assistant d'éducation homosexuel et dénonce l'hypocrisie du gouvernement.

Benoit Barnett

20 janvier 2023

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Crédits photo : AFP

Encore une fois, l’homophobie tue. Lucas, 13 ans, s’est ôté la vie le 7 janvier dernier après avoir subi remarques, insultes, harcèlement et violence psychologique de la part de son entourage à l’école. Il était collégien dans un établissement des Vosges. Des élèves de son collège ont dit avoir été témoins du harcèlement dont il était la cible et qui visait son homosexualité.

Le harcèlement n’était un secret ni pour ses camarades de classe ni pour la direction de son établissement, qui avait été mise au courant lors de la première réunion parent-professeurs de l’année par l’enfant et sa mère, ayant mentionné les moqueries et insultes.

Je suis assistant d’éducation (AED) dans un lycée de la région toulousaine et les insultes homophobes sont monnaie courante au sein de l’établissement dans lequel je travaille. L’annonce du suicide du jeune Lucas a ouvert des discussions entre collègues à la vie scolaire. Il est courant d’entendre les insultes que se balancent les élèves entre eux, souvent pour se « charier », pouvant aller jusqu’à la stigmatisation quotidienne des élèves LGBTI, racisés, en situation de handicap ou issus de familles ouvrières.

Je connais non seulement ces situations en raison de mon job mais aussi pour les avoir vécues. J’étais un jeune lycéen gay au moment du passage de la loi légalisant le mariage pour les personnes de même genre en 2013, à un moment où l’homosexualité était jetée en pâture à la réaction et où le sujet était inévitable lors de discussions entre camarades de classe. C’est une des raisons qui ont poussé à mon décrochage scolaire de plusieurs mois, avant de pouvoir dire adieu au lycée et à ses expériences traumatisantes.

En tant qu’AED, nous faisons de notre mieux pour endiguer cela, mais c’est généralement sans le soutien de la direction qui préfère gérer les cas individuellement, sans prise d’action collective face aux oppressions que subissent les lycéens. Par exemple, quand j’ai voulu convoquer des élèves pour discuter avec eux des insultes homophobes qui ponctuent chacune de leurs interactions, ayant été témoin d’un échange particulièrement violent, les collègues m’ont mis en garde : « Ne le dis pas aux CPE ». Car, généralement, cela entraîne soit une réaction qui va dans le sens de « mettre l’histoire sous le tapis », soit une sanction de l’élève qui peut alors rapidement prendre des proportions très importantes « pour l’exemple », alors même que l’homophobie est quotidienne et banalisée. Dans les deux cas, en tant qu’AED, on nous fait comprendre qu’on n’a pas à intervenir sur ces questions, et on nous écarte plus ou moins ouvertement du dossier.

Alors on bricole comme on peut, mais on sait que la direction n’a aucun intérêt à nous laisser prendre en charge ces questions. Ce serait comme ouvrir la boîte de Pandore : si la direction nous laissait discuter ouvertement les questions d’oppression qui traversent le lycée, cela rendrait visible qu’il n’y a pas « des individus problématiques » qu’il suffirait de sanctionner, mais tout un système profondément violent et inégalitaire. 

Cela soulèverait en premier lieu la question de l’éducation sexuelle et affective au lycée : elle est censée être assurée par trois séances obligatoires par an en vertu de la loi, une disposition largement insuffisante qui n’est pas appliquée en raison principalement du manque de moyens. Dans mon lycée, aucun dispositif de ce type n’est en place à ma connaissance. En cas de besoin, notamment sur demande des enseignants et selon des critères variables, c’est l’infirmière qui doit intervenir. Et, jusqu’il y a peu, il n’y avait qu’une seule infirmière... pour plus de 1000 élèves. Se pose donc en fond la question des moyens : des embauches, des formations et des augmentations de salaires pour les personnels d’éducation qui, de fait, se confrontent à l’oppression au quotidien. 

De ce point de vue, les réactions politiciennes au drame du suicide de Lucas sont insupportables. Interpellé à ce sujet lors d’une séance de question devant l’assemblée nationale ce mercredi, le ministre de l’éducation Pap N’Diaye surjouait l’émotion, « ému aux larmes » avant d’annoncer « la généralisation dans chaque Académie de groupes de sensibilisation, de prévention et d’action contre l’homophobie à l’école dans les prochaines semaines ». 

Cette déclaration est profondément hypocrite, de la part de celui qui dirige la casse l’école publique au détriment du nombre d’enseignants, le profilage raciste des élèves musulmanes ou encore la stigmatisation des élèves LGBT avec l’application de la circulaire Blanquer : autant de politiques qui, précisément, génèrent harcèlement et suicides. 

En réalité, derrière des effets d’annonces enrobés de formules convenues, face au harcèlement scolaire, la seule réponse du gouvernement est celle de la sanction. C’est en ce sens que la secrétaire d’État chargée de l’enfance Charlotte Caubel a agité ces derniers jours un panel de propositions centrées sur la sanction des harceleurs, prenant soin de renvoyer aux familles la responsabilité de l’éducation des jeunes sur ce terrain plutôt que de soulever la question de l’éducation sexuelle et affective dans les établissements scolaires. 

Dans les médias, suite au drame du suicide de Lucas, c’est le débat sur le port obligatoire de l’uniforme à l’école qui a pris tout l’espace. Il ne sert pas non plus la lutte contre les discriminations : pour s’en convaincre, il suffit de regarder l’exemple du Japon, où le taux de suicides liés au harcèlement crève le plafond alors même que l’uniforme y est la norme. Porté par Brigitte Macron de concert avec l’extrême-droite, ce faux débat tend au contraire à légitimer le renforcement du contrôle patriarcal des tenues des élèves, et plus généralement la mise au pas de la jeunesse.

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Toute cette hypocrisie du gouvernement et des responsables politiques masque mal la réalité de la casse des services publics, et en premier lieu de l’éducation, qui est la cause même de la stagnation de la lutte contre les oppressions au sein de l’école. C’est ce manque de moyen qui nous pèse tous les jours, lorsque nous devons faire face à des ados qui ont des vies difficiles, que ce soit en raison de leur sexualité, de leur genre ou pour tout autre raison. 

Il n’y a aucune confiance à avoir dans l’État et ses institutions qui répriment les jeunes et le personnel qui se mobilisent, y compris pour dénoncer les violences et les discriminations qu’ils subissent. Les possibilités de transformation se trouvent de notre côté, celui du personnel de l’éducation, car c’est nous qui assurons le travail de terrain, connaissons les jeunes et les problématiques qui les traversent, et pourrions les aider à affronter leurs difficultés si nous en avions les moyens. Et cela, nous ne pourrons l’imposer qu’en construisant un rapport de force par en bas. 

Aujourd’hui, la mobilisation contre la réforme des retraites qui s’annonce très suivie dans l’Education Nationale, pourrait ouvrir un espace pour discuter des violences et discriminations à l’école, en brisant l’illusion du « cas par cas » ou de « l’établissement par établissement », pour commencer à s’attaquer à la racine du problème.


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