Ni Shah, ni mollahs !

Femmes, révolte et révolution en Iran

Pierre Reip

Chowra Makaremi

Femmes, révolte et révolution en Iran

Pierre Reip

Chowra Makaremi

Chowra Makaremi, chargée de recherche au CNRS, spécialiste de l’Iran, aborde, dans cette interview, le soulèvement qui secoue Téhéran et toutes les villes du pays, ses potentialités révolutionnaires et, à l’origine du processus, le rôle des femmes.

Chowra Makaremi est chargée de recherche au CNRS. Ses travaux portent sur l’anthropologie de l’Etat, les formes juridiques et ordinaires de la violence et l’expérience qu’en font les sujets, notamment en situation d’exil. Elle a publié de nombreux ouvrages, articles et chapitres d’ouvrages sur l’Iran, la violence politique et les politiques migratoires. Elle revient, dans cette interview, sur le soulèvement qui secoue le régime iranien, ainsi que sur ses potentialités révolutionnaires.

RP : Il est toujours important de savoir d’où l’on parle quand on aborde l’Iran d’aujourd’hui. Vous avez publié en 2011 Le cahier d’Aziz, un livre centré sur les mémoires de votre grand père Aziz Zarei, qui retracent le destin de votre mère et de votre tante, militantes de gauche investies dans la révolution de 1979 puis victimes de la répression du régime de Khomeini. Est-ce que vous pourriez revenir sur ces trajectoires, la façon dont vous les avez abordées et nous dire en quoi cette trajectoire familiale nourrit vos réflexions ?

En 2004, alors que je faisais des allers retours en Iran, j’ai pris connaissance d’un cahier écrit par mon grand père après les massacres de 1988. Il s’agit d’un témoignage adressé à ses petits enfants au sujet de ma mère et de ma tante. J’ai commencé par traduire ce témoignage, qui est très difficile et raconte l’expérience d’une famille confrontée à la torture, aux intimidations à la terreur. C’est un témoignage qui raconte comment on est passé de la révolution de 1979 à la révolution islamique, un processus, qui est assez peu étudié en histoire. Il y a peu d’analyses académiques sur ce sujet et ce témoignage m’en a appris beaucoup et il m’a semblé qu’il était très éclairant.

J’ai décidé de le publier après les manifestations de 2009, survenues après les élections truquées d’Ahmadinejad. Je me suis rendue compte que la jeunesse iranienne qui avait mon âge à l’époque découvrait avec effroi ce dont l’Etat était capable. Elle découvrait la réalité des centres de détention spéciaux, des viols, des tortures, des emprisonnements et arrestations sans mandat d’arrêt, des confessions forcées et des disparitions dont les corps n’étaient pas rendus aux familles. Les manifestants de 2009 étaient très choqués et j’étais étonnée qu’ils n’aient pas connaissance de la longue histoire de la répression en Iran, parce que ce sont des pratiques qui ont eu cours tout au long des années 1980 et avaient concerné plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Je me demandais comment il était possible que des jeunes qui avaient grandi en Iran puissent ne pas avoir connaissance de l’Etat auquel ils avaient à faire. Ils s’imaginaient un interlocuteur qui était très différent de ce à quoi ils ont été confrontés après les manifestations de 2009. Or, ce monstre qu’ils découvraient n’était pas nouveau, et il ne faisait que réemployer des pratiques qui avaient cours dans les années 1980. Il me semblait important de montrer cette continuité. Ce n’étaient pas des histoires qui appartenaient au passé : connaître cette histoire pouvait avoir un impact politique réel dans l’Iran d’aujourd’hui.

RP : Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur l’histoire de votre mère et de votre tante ?

Ma mère et sa sœur étaient des candidates aux élections de 1981 pour les Mujahidin du peuple, une organisation révolutionnaire islamiste mais anticléricale, et de ce fait dans le viseur du parti de la Révolution islamique de Khomeini. Ma mère a été arrêtée avant l’entrée du parti dans la lutte armée, c’est pour cela qu’elle n’a pas été condamnée à la peine de mort. Ma tante a quant à elle été arrêtée en 1982, après l’entrée des Mujahidin du peuple dans la lutte armée contre le régime. Elle était entrée en clandestinité après l’arrestation et l’exécution sommaire de son mari, peu de temps auparavant. Elle a été exécutée par le régime en octobre 1982, sept mois après son arrestation en mars 1982.

Mon grand père parle quant à lui d’un point de vue différent, c’était alors un vieil homme de 70 ans, qui ne s’était pas engagé dans la révolution de 1979. On retrouve ici une dynamique générationnelle comme aujourd’hui. Il donne le témoignage d’une famille de prisonniers : c’est un témoignage de ce que vivent des pans entiers de la population qui ne sont pas emprisonnés, mais constituent le chainon entre les détenus et le reste de la population.

RP : Vous évoquez la question générationnelle, et à cet égard le mouvement né du meurtre de Mahsa Amini par la police a pu être analysé comme un mouvement de la « génération Z » en Iran. Quelles sont les spécificités de cette mobilisation et quelle est la part de rupture et de continuité par rapport aux précédentes, notamment depuis 2009 en Iran ?

La première spécificité de ce mouvement, c’est la radicalité des slogans qui exigent un renversement du régime. Un des slogans les plus chantés est : « Ceci est notre dernier message, l’objectif c’est l’ordre politique lui-même ». On a aussi « femme, vie, liberté » et « à bas le dictateur », qui signifie que le guide suprême Khamenei est un dictateur et qu’on veut le renverser. On entend aussi directement « À bas Khamenei ». Les manifestant-e-s ne demandent pas une modification de la législation sur l’obligation du port du voile ou un référendum, mais la chute du régime : ils et elles ne se placent pas dans le cadre d’un dialogue avec le pouvoir.

Une autre spécificité, c’est la solidarité interclasse, interethnique et intergénérationnelle et le fait que l’égalité politique des femmes et des hommes est comprise comme la condition de la liberté de tous, et c’est cela que veut dire « femme, vie, liberté ». C’est la première fois depuis 1979 que les classes moyennes et les classes populaires sont solidaires, et cette solidarité n’est possible que parce qu’il y a la formulation d’une demande politique, le renversement du régime.

RP : Comment comprendre la radicalité de la nouvelle génération qui s’engage dans les manifestations en Iran ?

Je ne suis pas sociologue de cette jeunesse, je n’ai pas étudié la « génération Z » en Iran et il n’est d’ailleurs pas possible d’y mener une enquête sociologique sérieuse. Cela fait des années que la recherche est empêchée. Je pense que c’est important qu’on l’ait en tête. Il y a eu une politique très consciente d’empêchement de la connaissance sur l’état de la société iranienne, depuis quarante ans, mais de façon accrue depuis 2009. La production d’un savoir expert sur l’Iran est très compliquée, parce que les chercheurs sont arrêtés, emprisonnés, qu’ils ne peuvent pas aller sur le terrain ou parce qu’ils doivent adapter leur objet d’étude à ce qui reste dans les limites des lignes rouges définies par le pouvoir. De même, la production des statistiques est empêchée, les bureaux de production de statistiques, qui relèvent du ministère de l’intérieur, ont été sabotés à partir de la première présidence d’Ahmadinejad en 2005. On a affaire à une société difficile à saisir : quelqu’un va vous dire que 80% des Iraniens sont laïques parce qu’il vit dans un quartier de classe moyenne à Téhéran et qu’il est absolument convaincu que dans sa vaste majorité la population iranienne est laïque. Un autre vous dira que 30% des Iraniens soutiennent encore le régime parce qu’il s’appuie sur une production sociologique provenant de sociologues affiliés au pouvoir.

Je ne peux donc revendiquer une parole de vérité sur ce qu’est la société iranienne car son opacité est une technique de pouvoir. Cela me semble important de le dire, parce qu’il faut prendre avec des pincettes les paroles expertes sur l’Iran. Cette « génération Z », on la connaît néanmoins à travers les réseaux sociaux. Il y a presque une micropolitique de la story Instagram. Les jeunes mettent en scène leur révolte dans la rue, et ils mettent en scène des façons de se révolter quand ils ne peuvent plus aller dans la rue. Des lycéens et lycéennes déchirent les pages de leurs manuels d’histoire et mettent les images en ligne. Ce sont des façons de délocaliser son militantisme sur le plan individuel, quand il devient trop dangereux de descendre dans la rue, mais qui n’est pas anodine. Au Baloutchistan, une lycéenne a été battue à mort parce qu’elle a été reconnue dans une vidéo où elle déchirait une photo du guide suprême.

Les réseaux sont aussi une façon de se souvenir de celles et ceux qui ont été tués, au travers de ce que disent d’elles et eux leur profil Instagram, comme Nika Shakarami, [une adolescente de 16 ans que le régime a fait disparaître, N.d.l.r.]. Dans les premières images qui ont circulé de Mahsa Amini après sa mort, on la voyait danser une danse kurde dans une tenue traditionnelle, et ça a contribué à casser la figure du martyr qui était dominante dans la révolution de 1979. La représentation de l’injustice, c’était alors la figure du martyr. Là, Mahsa Amini qui danse, c’est la vie et ce n’est plus une martyr.

Cette génération redéfinit les termes du courage politique. Des amis qui ont mon âge et qui descendent dans la rue sont abasourdis par l’intrépidité et le courage physique des jeunes qui s’affrontent au pouvoir. Ces jeunes défient le pouvoir dans la profanation des symboles comme lors de ces contests dans lesquels ils se filment en faisant tomber les turbans des mollahs en pleine rue. La mobilisation est née de la volonté des femmes de ne plus avoir à porter quotidiennement leur voile et aujourd’hui ce sont les mollahs eux-mêmes qui sont obligés d’attacher leurs turbans pour qu’ils ne tombent pas.

On assiste à une redéfinition du courage politique dans d’autres termes que celui du martyr. J’ai essayé dans mes écrits de montrer qu’il était important de se souvenir des années 1980 pour comprendre le pouvoir actuel et empouvoirer la résistance. La répression des années 1980 était parvenue à faire de l’entêtement et de la détermination politique quelque chose de négatif. Les prisonniers étaient torturés et tués, non plus vraiment pour leur appartenance politique, mais parce qu’ils étaient « sare mo’ze », c’est à dire qu’ils maintenaient leurs opinions. Ils restaient têtus, fidèles à leurs positions politiques. Comme on pouvait le voir en 2009, le courant réformiste en Iran s’était efforcé de prôner un changement des formes de la résistance politique pour éviter un affrontement direct entre pouvoir et résistance. Pendant des années, le compromis et la préservation de soi étaient présentés comme des vertus politiques. Le fait de ne pas aller à cette confrontation dure, qui était perçue comme productrice de violence, était tenu pour vertueux et digne de valeur dans la société iranienne. Il y avait l’idée qu’un opposant politique était quelque part co-responsable de la violence, puisque que c’était son entêtement qui produisait cette radicalité de la part du pouvoir. Ce retour en force de l’entêtement comme valeur renverse cette hégémonie idéologique du réformisme. C’est un renversement énorme que l’on doit créditer à cette génération.

RP : Il a pu être dit que ce qui avait poussé les salariés à entrer en grève en 1968, c’était la détermination des étudiants et leur capacité à faire preuve de courage, à s’affronter à la police et à prendre des risques. Quid de la question sociale en Iran, comment réagit le monde du travail à cette mobilisation ? Dans la séquence 1978-1979, on avait pu voir s’enclencher une dynamique permanentiste et les ouvriers étaient entrés en grève à la suite des manifestations étudiantes, élément déterminant dans la chute du Chah.

Oui, vous posez la question de la deuxième phase, c’est-à-dire de l’entrée en grève. Une des spécificités des mobilisations actuelles, c’est leur durée, qui est inégalée. On n’a pas vu, depuis 1979, des gens dans la rue autant de jours de suite. Dès les premières semaines, il y a avait l’idée que pour que le mouvement gagne en puissance il fallait entrer en grève, parce que c’était la grève dans la compagnie nationale du pétrole qui avait brisé le régime du Chah. Il y a beaucoup de grèves en Iran, mais on n’est pas encore arrivé à ces grèves massives qu’on avait pu voir dans la révolution de 1979.

Il faut noter que le monde syndical en Iran a été très durement touché par les réformes néolibérales qui ont débuté dans les années 1990, sous l’impulsion des réformistes, et fait voler en éclat le droit du travail iranien, contribuant à précariser massivement les salariés. Les ouvriers sont souvent soumis à des contrats de type CDD, à la limite du contrat d’intérim. La crise économique est aujourd’hui si profonde que l’Etat ne peut même plus tenir ses promesses d’Etat rentier, comme garantir des prix relativement bas pour les biens de consommation de base et pour le pain afin que les Iraniens sous le seuil de pauvreté ne sombrent pas dans des crises existentielles. Il est dans ce contexte très difficile de se mettre en grève, d’autant plus parce qu’il n’y a aucun droit du travail, aucun droit de grève et une grande précarité.

Il est particulièrement révoltant que la République islamique soit parvenue à donner d’elle-même, à l’étranger, l’image d’un régime aux idées socialistes ou proche d’un certain socialisme. Il n’y a pas plus néolibéral que le régime iranien. La junte des gardiens de la révolution est une espèce de mafia économico-sécuritaire qui a la main sur tous les contrats publics dans les domaines de la construction, des Télécoms, de l’urbanisme. Les nationalisations des usines après la révolution ont en fait conduit à une redistribution de ces entreprises aux proches du clergé, les Aghazadeh, qui sont des apparatchiks. Il faut avoir conscience de l’extrême difficulté de se mettre en grève pour toute une partie de la population.

En dépit de cela, il y a un réseau et une activité syndicale remarquables en Iran, dont on ne parle pas assez : l’association nationale des enseignants, l’association nationale des retraités, les syndicats des transports, des syndicats comme celui de l’usine de sucre d’Haft Tappeh. Ces syndicats qui étaient à la pointe des émeutes de 2019 sont porteurs d’une histoire et d’une résistance politique très ancrée localement, avec des réseaux d’entraide, des caisses de grève, des réseaux d’interconnaissance, des héros syndicaux locaux qui vont et viennent en prison mais continuent leur lutte. Les syndicats des ouvriers de Haft Tappeh ont obtenu des concessions par la grève récemment. Il y a eu plusieurs centaines de grèves en 2022. Le mouvement ouvrier et syndical est important, mais le régime a toujours répondu avec une extrême radicalité à la mobilisation syndicale : arrestation directe, saisie des biens et des maisons des syndicalistes. La répression est multiple, rhizomatique, elle étouffe le réseau syndical et c’est ce qui explique la difficulté de généraliser la grève.

RP : Quelle est la place du féminisme dans la mobilisation ?

Le mouvement féministe iranien est enfant de la campagne pour un million de signatures démarré en 2006 et qui avait pour objectif de changer la constitution iranienne et de mettre fin à l’apartheid de genre. Cette mobilisation a été un moment de formation important pour de nombreuses femmes iraniennes, dans les classes moyennes, mais aussi dans les couches populaires qui subissent de façon décuplée l’ordre patriarcal. Ces formations ont permis une théorisation et une prise de conscience de l’apartheid de genre dans une république islamique qui ne pouvait plus être pensée comme une république. Le mouvement féministe a popularisé l’idée selon laquelle la condition des femmes en Iran change la nature même du régime. L’obligation du port du voile est la pointe émergée de cet apartheid de genre, sa partie visible, mais aussi une façon pour le pouvoir de contrôler les corps, et en contrôlant le corps des femmes, d’indiquer que l’espace public est sous le contrôle direct et méticuleux de l’Etat. C’est cette combinaison qui est rejetée aujourd’hui par les manifestant-e-s. Le mouvement féministe est un mouvement puissant et coordonné de la société civile, qui pendant des décennies a cherché à militer dans une perspective réformiste pour changer les choses à l’intérieur des lignes rouges de la théocratie et a donné les outils intellectuels pour comprendre en quoi l’obligation du port du voile et l’apartheid de genre sont un danger pour toutes et tous en Iran, parce qu’ils construisent un ordre politique antithétique de la liberté.

RP : Que vous inspire la réception de la mobilisation, en France et dans le monde, et les tentatives de récupération de celle-ci par la droite et l’extrême droite ? Comment voyez-vous la question de la solidarité internationaliste et féministe avec la mobilisation en Iran ?

Ce mouvement « femme, vie liberté », par ses formes, ses codes, est en écho avec ce qui se passe en Amérique latine. On voit qu’on a affaire à un mouvement mondialisé, générationnel et avec un fort potentiel politique, qui pense la puissance d’oppression du capitalisme. En Iran, c’est le féminisme qui est devenu une façon de penser les oppressions ethniques. On voit bien que le féminisme est une matrice intellectuelle et politique qui va au delà du droit des femmes.

Quant à la récupération par les extrêmes droites, elle ne devrait pas être paralysante. On voit bien la dimension révolutionnaire du mouvement, les américains diraient « unapologetic », les Iraniennes ne sont pas désolées, elles sont révolutionnaires, point. La franchise de l’énergie révolutionnaire ne laisse pas place à la récupération et entre en résonance avec les résistances aux projets anti-avortement et de contrôle des corps que porte l’extrême droite. Il n’est pas possible de penser « Femme, vie, liberté », et le fait de brûler son voile, en dehors des mouvements contre l’interdiction de l’avortement en Pologne. Il y a quelque chose de très concomitant qui relie ces deux formes de soulèvement contre le patriarcat et la façon dont il s’ancre dans le contrôle du corps des femmes.

Les ressorts de ce féminisme révolutionnaire sont incompatibles avec les projets réactionnaires qu’ils désactivent, si on fait l’effort de les comprendre dans leur dimension révolutionnaire. On n’a pas encore affaire à une situation révolutionnaire, mais on voit bien que ce mouvement est l’expression d’un féminisme révolutionnaire. Et si l’on situe le mouvement à cet endroit là, il ne peut être récupéré par l’extrême droite.

RP : Il y avait une présence importante des femmes dans les mobilisations de 2009 mais, effectivement, quelque chose a changé en 2022.

Les femmes étaient mobilisées dans le mouvement pour les 1 millions de signatures et le « mouvement vert » en 2009, mais il y avait à l’époque une difficulté pour importer les revendications féministes au cœur de la mobilisation. Aujourd’hui, il y a un très fort mouvement étudiant, mais il dit « Femme, vie, liberté » et c’est un mouvement féministe. Le féminisme révolutionnaire est très fort en Iran et il a aussi une voix d’homme, une figure d’homme et un visage d’homme et c’est ce qui est très beau. Les femmes iraniennes mettent en lumière les hommes qui reprennent les revendications féministes. Les images d’hommes qui chantent « femme, vie, liberté », sont beaucoup reprises, circulent et sont aimées. Il se joue là quelque chose dans l’ordre des affects, du soin qui est pris par chaque portion de la population pour les autres. Les manifestantes de Téhéran, déclarent leur amour pour la cause kurde, les hommes kurdes déclarent leur soutien aux femmes.

RP : Effectivement, même si le régime tente de s’appuyer sur le fait minoritaire en différentialisant la répression, et en tirant à balles réelles sur les manifestants au Baloutchistan, le mouvement reste unitaire et soudé.

C’est absolument ce que le régime essaye de faire et un certain discours savant marche en plein dedans, en brandissant la menace du démembrement de ce qu’on connaît actuellement sous le nom de pays « Iran ». C’est une réappropriation complète de la propagande étatique par des chercheurs appartenant à la communauté académique postcoloniale et qui ancrent leur parole experte dans une autorité qui serait leur accès empirique à la société iranienne. C’est d’une très grande irresponsabilité qui ne s’appuie, de plus, sur aucun véritable fondement empirique, et c’est une façon de maintenir des statu quo ou des positions expertes acquises au fil des années par une certaine façon de faire de la parole experte un relai du pouvoir iranien à l’étranger. Ce sont des gens qui ont construit des carrières dans ce cadre qui les tient en loyauté par rapport à ce discours. Il faut à cet égard saluer la responsabilité des militants politiques au Kurdistan et au Baloutchistan, qui pour l’instant laissent leurs armes à la maison, alors qu’on tire sur eux au sniper.

Propos recueillis par Pierre Reip

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