8 mars 2020

Femmes en grève, femmes en guerre

Anna Ky

Femmes en grève, femmes en guerre

Anna Ky

De la quatrième vague féministe au nouveau cycle de lutte des classes à l’international, les femmes sont en première ligne du combat contre un système qui n’a rien à offrir d’autre qu’un avenir fait de précarité, de violences sociales et sexistes.

À l’échelle internationale, la résurgence du féminisme ouverte par les mobilisations #NiUnaMenos contre les féminicides en Amérique Latine, et les témoignages #MeToo révélant un sexisme structurel, s’ancre dans le contexte d’un capitalisme en crise. Alors que nous, les femmes, sommes intégrées toujours plus massivement au marché du travail, représentant aujourd’hui près de la moitié de la classe ouvrière mondiale, et que la conquête de nouveaux droits nous assure aujourd’hui – en particulier dans les pays impérialistes – une égalité dans la loi, les inégalités subies dans la vie génèrent des contradictions croissantes.

Nous représentons 70 % des travailleurs les plus pauvres dans le monde, dans de nombreux pays nous nous battons pour notre droit à avorter, nous sommes victimes de meurtres et de violences, pour le seul fait d’être des femmes. Cette contradiction entre l’égalité en droits et l’inégalité dans les faits est la première caractéristique de la nouvelle vague féministe

L’autre caractéristique de ce mouvement d’ampleur est la réhabilitation de la grève comme méthode de lutte, dans de nombreux pays. Un moyen d’action propre au mouvement ouvrier, et que les féministes ne se réapproprient pas par hasard. En effet, près de la moitié du prolétariat est aujourd’hui composé de femmes, et nous prenons part toujours plus massivement aux luttes ouvrières. C’est ce qu’est venue illustrer et annoncer la multiplication des grèves dures et souvent victorieuses dans des secteurs particulièrement précarisés et féminisés, où exploitation et oppressions se recoupent. La grève des travailleuses et travailleurs d’ONET dans les gares du nord de Paris en 2017, les luttes menées par les femmes de chambres de grand hôtels, à Campanile, Hyatt, Ibis ou encore Holiday Inn… Autant de combats qui ont vu se mêler des revendications économiques et politiques, dont les femmes se sont emparées en émergeant comme de véritables guerrières, sujet de leur propre grève pour une vie digne.

Le retour de la grève vient rompre avec plusieurs décennies d’institutionnalisation, de cooptation et de pacification du mouvement féministe, dont certaines revendications avaient été mises à l’ordre du jour de l’agenda néolibéral sans pour autant résoudre les contradictions profondes qui subsistent entre l’égalité relative en droit et l’inégalité dans la vie. Un moyen d’action qui s’articule souvent autour de la dénonciation des violences sexistes et sexuelles, mais aussi autour de revendications sociales, notamment l’égalité salariale et l’abolition de la double journée de travail pour les femmes. C’est par exemple le cas en Suisse, qui a vu près d’un demi million de grévistes sortir dans les rues du pays en juin dernier, après des années de « paix sociale » entre le gouvernement et le patronat d’un côté, et le mouvement féministe et syndical de l’autre.

En ce sens, la nouvelle vague féministe a anticipé un nouveau cycle de lutte des classes à l’échelle internationale, avec des soulèvements d’un bout à l’autre du globe, au sein desquels nous nous sommes souvent placées en première ligne : depuis les Gilets jaunes en France à la révolte chilienne, en passant par l’Algérie, le Liban et le Soudan. Cette nouvelle vague féministe nous a permis, à nous les femmes, de prendre confiance en nos propres forces et de jouer un rôle central dans ce retour international de la lutte des classes.

Mais le dialogue qui se rétablit entre mouvement féministe et mouvement ouvrier, le vent de révolte qui souffle sur la planète, a aussi un impact sur les luttes des femmes et l’organisation de ce 8 mars 2020. Dans certains pays, conscients du potentiel explosif du mouvement des femmes, l’État fait le pari de la cooptation. C’est par exemple le cas de Piñera, au Chili, qui a appelé la Coordination de préparation du 8 mars au dialogue, en annonçant le déploiement de 1700 femmes policières pour la journée. Mais dans le contexte de lutte qui traverse le pays, le mouvement féministe a refusé de servir de caution à un gouvernement qui a réprimé, violé et tué des centaines de femmes et d’hommes au cours de ces derniers mois.

A l’inverse, dans l’État espagnol, le gouvernement de coalition PSOE-Podemos récemment élu joue le rôle de catalyseur, cherchant à empêcher tout développement d’une dynamique de lutte – que ce soit sur le terrain féministe ou du mouvement ouvrier. Dans ce pays, les principales organisations syndicales ont refusé d’appeler à la grève le 8 mars, pour la première fois depuis 3 ans, arguant que le nouveau gouvernement devait avoir le temps de « faire ses preuves ». Une tentative de canaliser la colère et la radicalité que les femmes expriment très fortement de l’autre côté des Pyrénées depuis plusieurs années.

En France, la bataille des retraites et la grève historique menée notamment par les travailleurs du secteur des transports a vu de nombreuses femmes émerger comme militantes de la grève, autour de revendications politiques et féministes, comme en témoigne l’écho rencontré par la chorégraphie des Rosie sur l’air « A cause de Macron ». Le retour de la grève reconductible depuis le 5 décembre a également réactivé des débats propres au mouvement féministe, sur les méthodes d’action que nous devons mettre en œuvre pour lutter contre le système capitaliste patriarcal : grève du travail salarié ou grève du travail domestique ? Grève comme moyen de pression sur les gouvernements ou comme moment d’une stratégie révolutionnaire visant à instaurer un rapport de force contre l’État et les capitalistes et à développer l’auto-organisation, dans la perspective de la prise du pouvoir par la classe ouvrière ?

C’est dans ces débats théoriques et stratégiques que vient s’inscrire la date du 8 mars cette année, et auxquels cette édition spéciale de RPDimanche vise à contribuer. Mais par-dessus tout, c’est dans un processus historique vivant que nous, militantes du collectif Du Pain et des Roses-Révolution Permanente, cherchons à intervenir, pour abattre les obstacles à l’abolition d’une société faite d’exploitation et d’oppression, en s’affrontant à l’État qui nous matraque et nous précarise, aux bureaucraties syndicales qui nous divisent, aux directions réformistes de nos luttes qui sèment des illusions sur la possibilité d’obtenir des conditions de vie dignes dans le cadre du système capitaliste.

Nous luttons pour que la lutte féministe et révolutionnaire ne s’arrête pas au lendemain du 8 mars, et qu’elle se fasse sous le signe de la solidarité internationaliste. Les protagonistes de la lutte des classes en France ont tout à gagner aux côtés de nos sœurs chiliennes qui donnent l’exemple en s’affrontant à la répression de Piñera, des Brésiliennes qui font face aux attaques ultra-réactionnaires de Bolsonaro, des Boliviennes qui subissent le coup d’État, des Équatoriennes qui se sont levées contre la politique d’ajustement mortifère du FMI, des femmes de Colombie, d’Argentine et d’ailleurs qui luttent sans relâche pour le droit à l’avortement, des femmes réfugiées qui s’affrontent à la politique anti-migrants meurtrière mise en place par les pays de l’Union européenne.

L’histoire de la lutte des femmes, de notre lutte, est faite du combat contre le système capitaliste patriarcal et ses institutions.

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