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Afrique

Burkina Faso. Faut-il voir la main de Moscou derrière le dernier coup d’Etat ?

Huit mois seulement après son accession au pouvoir par un coup d’État, le chef de la junte a été démis des fonctions par un nouveau putsch militaire. Si les spéculations vont bon train pour dire que le nouveau gouvernement pourrait se rapprocher de la Russie, la réalité est que pour le moment les nouvelles autorités se montrent prêtes à travailler avec tout un ensemble d'acteurs, y compris des puissances impérialistes occidentales.

Wolfgang Mandelbaum

7 octobre 2022

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Huit mois seulement après un coup d’État qui avait renversé le président élu Roch Marc Christian Kaboré, un nouveau putsch militaire a secoué le Burkina Faso  ; le chef de la junte au pouvoir depuis janvier, Paul-Henri Sandaogo Damiba a été démis des fonctions qu’il avait si récemment usurpées. Le pays, aux prises avec des groupes islamistes affiliés à Al-Qaida et à l’État Islamique qui contrôlent près de la moitié du pays, est face à un avenir plus qu’incertain.

Damiba, le chef de la junte au pouvoir (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration, MPSR) depuis janvier, a été renversé par des membres de sa propre junte et des forces de l’unité spéciale antiterroriste « Cobra », dont le nouvel homme fort du pays, Ibrahim Traoré, ferait partie. L’arrivée au pouvoir de Damiba avait été accueillie avec beaucoup d’espoir par les Burkinabés, qui voyaient l’ancien président issu de la société civile, Kaboré, comme incapable de mener à bien la lutte contre les forces djihadistes dans le nord du pays. Leurs espoirs ont été vite douchés, les attaques de groupes islamistes affiliés à Al-Qaida et à l’État islamique ayant décuplé depuis janvier.

L’attaque à Gaskindé d’un convoi en destination de Djibo dans le nord du pays pour forcer le blocus des groupes islamistes semble avoir été l’élément déclencheur ayant permis le coup d’État. Ce type d’attaques est légion dans le nord et l’est du Burkina Faso, et plus particulièrement autour de Djibo, encerclée par des groupes islamistes qui tiennent la majorité des routes. Les manifestations qui ont eu lieu à Bobo-Dioulasso, la capitale économique du pays, pour protester contre l’inaptitude du gouvernement Damiba à juguler les attaques, montrent que ce dernier a déçu les hautes attentes des Burkinabè, et a perdu le soutien de la population. Damiba a également perdu du crédit auprès de l’armée pour son incapacité à l’équiper correctement face aux milices islamistes  ; des camps militaires sont régulièrement envahis et incapables de se défendre. Pire, dans un camp dans le nord du pays, les rations n’étaient pas arrivées depuis des semaines et les militaires sur place étaient en proie à la famine.

C’est dans ce contexte d’incapacité du gouvernement face aux avancées des groupes djihadistes que les mutins du MPSR, alliés à la force Cobra, ont renversé le gouvernement Damiba. La localisation de ce dernier a été un mystère pendant plusieurs jours : certains manifestant, convaincus qu’il s’était réfugié au sein de l’ambassade française, ont tenté sans succès de s’introduire dans le bâtiment. Ils ont ensuite mis le feu à la façade et d’être repoussés par des grenades lacrymogènes tirées par l’armée française. Des scènes du même genre se sont produites à l’Institut français de Bobo-Dioulasso, ainsi qu’au siège du groupe Bolloré. Le chef de la rébellion, le capitaine Ibrahim Traoré, et ses hommes ont fait plusieurs allocutions télévisées pour annoncer le renversement du gouvernement, et ont enjoint les manifestants à ne pas s’en prendre aux ressortissants et aux positions françaises. Damiba a finalement démissionné le 2 octobre, avançant un certain nombre de conditions.

Des événements de ce type se sont multipliés ces dernières années dans la région, face à l’avancée des islamistes et à un ressentiment grandissant envers l’ingérence française dans le Sahel. Le Mali avait déjà connu deux coups d’État l’an dernier, et le gouvernement actuel a affiché une hostilité, largement partagée par la population envers les forces françaises de Barkhane. De fait, les intérêts de la France dans ses anciennes colonies en Afrique de l’Ouest sont énormes, et les pays de la région restent inféodés à l’ancienne Métropole à plusieurs titres. Une inféodation économique tout d’abord ; le Burkina, le Niger et le Mali ont été sommés d’adopter le franc CFA au lendemain de leur indépendance. Le franc CFA, indexé sur le franc français puis sur l’euro, garantit la mainmise de la France sur les pays, tout en rendant quasi-impossible le développement des pays, en raison d’une devise surévaluée. Inféodation militaire ensuite, l’armée française circulant librement dans son pré-carré (sauf au Mali depuis récemment). L’armée française a ainsi été accusée d’avoir facilité des exactions de l’armée burkinabè contre des populations peules dans le nord du pays. Inféodation politique finalement, la France n’ayant de cesse de s’immiscer dans les affaires politiques internes des pays, et est impliquée dans plusieurs coups d’État depuis des décennies, dont celui qui a renversé Thomas Sankara au profit de Blaise Compaoré.

Cette ingérence s’explique principalement, mais pas uniquement, par l’abondance de ressources naturelles d’importance pour la France, qui veut garder le contrôle sur les mines (or, manganèse, diamants…). De plus, la région présente un intérêt géostratégique, au premier chef dans le combat contre l’ÉI, Al-Qaïda, et d’autres groupes séparatistes aux intérêts contraires à ceux de la France.

De plus, ces dernières années ont vu l’émergence de plusieurs nouveaux acteurs de poids dans la région, notamment la Chine, qui investit massivement en Afrique (principalement dans les pays côtiers du Golfe de Guinée), et la Russie, qui cherche à s’accaparer le contrôle des ressources minières tout en affaiblissant les positions françaises et étasuniennes. La présence accrue des mercenaires de Wagner est un facteur supplémentaire de déstabilisation de la région, et le groupe est impliqué dans plusieurs massacres de populations locales. A ces deux acteurs on pourrait ajouter la Turquie mais aussi l’Algérie, qui cherchent à augmenter leur présence commerciale, militaire et leur influence géopolitique dans la région.

La France a exprimé sa préoccupation vis-à-vis de ce coup d’État. Et pour cause. Même si les spéculations vont bon train pour dire que le nouveau gouvernement pourrait se rapprocher de la Russie, la réalité est que pour le moment les nouvelles autorités se montrent prêtes à travailler avec tout un ensemble d’acteurs, y compris d’autres puissances impérialistes occidentales (Etats-Unis), à l’exception de la France. « Les commentaires de M. Traoré jusqu’à présent suggèrent qu’il est ouvert à une collaboration avec tous les partenaires internationaux, à l’exception de la France, que les Burkinabés perçoivent comme ayant aggravé les pertes civiles dans la région. La junte pourrait également solliciter l’aide de la Turquie, qui a augmenté ses ventes de matériel militaire à l’Afrique », peut-on lire dans Foreign Policy.

Cependant, cela ne veut pas forcément dire que le Burkina Faso va rompre définitivement ses relations avec la France. L’ancien gouvernement militaire arrivé au pouvoir huit mois plus tôt lui aussi semblait s’opposer à « l’ingérence française ». Cela ne l’a pas empêché par la suite d’avoir des rapports apaisés avec la France et ses alliés régionaux. Autrement dit, il est plus probable que les militaires burkinabè soient en train d’utiliser les rivalités géopolitiques entre les puissances pour avoir des meilleures marges de manœuvre face aux puissances impérialistes que d’être simplement les agents directs de tel ou tel gouvernement étranger.

Ce nouveau coup d’Etat, malgré quelques expectatives qu’il peut créer parmi la population burkinabè, ne va pas représenter un changement significatif de la situation de pauvreté et de dépendance du pays. Même si le nouveau pouvoir parle de façon démagogique contre la France, il est prêt à se vendre à un nouveau « maître », comme les déclarations des nouveaux dirigeants le montrent. Le sentiment anti-impérialiste, même si confus et contradictoire, parmi les travailleurs et les couches populaires du Burkina Faso sont plus que compréhensibles et légitimes. Cependant, une véritable lutte contre l’impérialisme ne peut jamais venir de la main de puissances comme la Russie, la Chine ou encore d’autres puissances régionales, comme la Turquie. Au contraire, c’est seulement en toute indépendance de classe vis-à-vis des exploiteurs, des oppresseurs nationaux et impérialistes que le prolétariat burkinabè pourra atteindre ses objectifs. La solidarité des exploités et opprimés en France dans ce sens est fondamentale.


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